• L'antoinisme, religion burlesque (La Croix, 5 janvier 1932)

    L'antoinisme, religion burlesque (La Croix, 5 janvier 1932)

    La Croix - mardi 5 janvier 1932 (Numéro 14986)
    journal quotidien catholique
    source : gallica


    L'antoinisme, religion burlesque

        Dans la Cité Chrétienne de Bruxelles, M. Louis Timmermans montre l'extravagance des théories philosophiques et
    religieuses de l'antoinisme où s'égarent malheureusement des esprits trop crédules.

        Louis-Antoine est né à Flémalle-Grande le 8 juin 1846. Il devient ouvrier métallurgiste, voyage en Allemagne, épouse en 1873 Jeanne-Catherine Collon, dont il a un fils cinq mois plus tard. Revenu en Belgique, il s'installe comme concierge aux « Tôleries Liégeoises », à Jemeppe. Amené à fréquenter des séances spirites, il devient président d'une secte et se fait médium guérisseur. Bientôt il se lasse et se passe des esprits, et distribue lui-même conseils et ordonnances. Il prescrit contre toutes les maladies une certaine liqueur Coune. Condamné pour exercice illégal de la médecine, ce qui lui vaut la sympathie de ses malades et de leurs amis, il change de méthode et prescrit de l'eau claire, à laquelle il communique, dit-il, un fluide magnétique. La renommée grandit. Antoine change de nouveau de méthode prescrit du papier magnétisé, moins encombrant qu'un bidon d'eau. La renommée grandit toujours, et le guérisseur, voulant aller de l'avant, rêve de devenir prophète et fondateur de religion. Il supprime tout intermédiaire matériel et se contente d'imposer les mains aux malades pour faire passer le fluide bienfaisant.
        Mais toute religion s'accompagne d'une doctrine et d'une morale. De 1905 à 1910, Antoine écrit quatre ouvrages qui sont le plus incompréhensible baragouin qu'il est possible d'imaginer. Le culte s'établit en mème temps que la morale et la doctrine; partout, des temples se fondent. Cela fatigue le « bon père » qui meurt en 1912, âgé de 66 ans. Avant
    son décès, il a eu le temps de passer son pouvoir à sa femme. Ses dernières paroles: « Après Mère. il y aura de grands guérisseurs. On pourra en choisir un pour remplacer Mère. Mère suivra toujours mon exemple; elle ira sur la tribune comme j'y vais, mais pour le nouveau guérisseur, il n'en sera pas de même : il montera à la tribune par l'escalier opposé, et quand il l'aura mérité, il ira par où je vais. »

    La philosophie antoiniste
        On trouve dans les ouvrages d'Antoine quelques propositions fondamentales qui peuvent être considérées comme la base philosophique de cette religion bizarre. Le plus important de ces ouvrages est le Couronnement de l'œuvre révélée (1910). « Il faut en convenir, tout ce qui a été révélé jusqu'à ce jour n'est qu'un acheminement vers la réalité, tendant à nous rendre plus aptes à la comprendre et à l'apprécier. Le Couronnement est à lui seul tout l'enseignement ». Voilà une formule type de la littérature antoiniste. D'abord l'affirmation tranchante : il faut en convenir. Rien de plus contraire à l'antoinisme que la forme interrogative, que le point d'interrogation, que le simple doute méthodique. Il faut en convenir, rien ne dépasse l'assurance d'Antoine; son assurance est son principal et son seul argument. Mais j'ai tort, dans cet article sur l'antoinisme, d'employer des mots tels qu'argument, ou que philosophie, ou que doute méthodique. Antoine, en effet, détestait l'intelligence. Dans tous ses écrits, il l'a terriblement malmenée, comme s'il sentait qu'elle était sa principale adversaire. « L'intelligence, dit-il dans la Révélation, l'intelligence considérée par l'humanité comme la faculté la plus enviable à tous les points de vue, n'est que le siège de notre imperfection. » Et dans le Couronnement, qui est à lui seul tout l'enseignement, il nous apprend que « l'intelligence suprême n'est autre que le démon en qui nous sommes incarnés » et que « la loi morale est opposée à l'Intelligence ». Qu'Antoine me pardonne, mais je ne parviens pas à trouver dans ses ouvrages une page qui soit intelligente, ni une page qui soit morale. Bien plus je crois que son immoralité foncière provient de sa bêtise. Ce brave homme était sans doute orgueilleux, peut-être ambitieux, mais ce qu'il était certainement, c'est bête comme il n'est pas permis de l'être quand on fonde une religion. De sorte qu'il ne lui restait plus qu'une ressource canoniser la stupidité.
        Avec beaucoup de bonne volonté, on pourrait dire que les ouvrages d'Antoine contiennent, en philosophie trois notions fondamentales: sa conception de Dieu, du monde et de l'homme.
        Ses idées sur Dieu sont très vagues. Antoine semble être panthéiste et adhérer, pour autant qu'il les a comprises, aux théories de Hegel. « Rien n'est sorti de Dieu qui ne soit Dieu; s'il n'en était pas ainsi, Dieu ne serait pas pur. Il remplit tout l'univers et seul il existe réellement. »
        Deuxième idée générale d'Antoine: le monde matériel n'est qu'apparence. Combien de fois cette idée ne revient-elle pas dans ses livres ? « Pourquoi voyons-nous la matière et qu'elle est en dehors de nous ? Parce que nous ne  percevons tout que par les sens qui sont seuls matière, illusion de notre esprit. Disons plutôt que tout se résume en nous; c'est notre imperfection seule qui nous rend accessibles à la matière, qui nous fait imaginer qu'elle existe tandis que c'est le contraire.» La même idée revient des centaines de fois sous des formes différentes. Je demande pardon à mes lecteurs de leur rapporter encore la suivante: « L'animal n'existe qu'en apparence... il n'est que l'excrément de notre imperfection. » Voilà pour le monde matériel.
        Quant à la philosophie antoiniste de l'homme, elle est absolument simpliste. Il y a dans l'homme deux individualités: le « moi conscient et le moi intelligent ». Avant d'arriver jusqu'à la pureté absolue de l'être », il nous faut passer par des milliers d'existences. Le passage d'une vie à l'autre est appelé désincarnation et réincarnation. Mais ces termes ne peuvent être entendus au sens habituel des spirites, puisque la matière est pure représentation subjective. La mort et le passage d'une ancienne vie à une nouvelle ne sont que le remplacement d'une illusion par une nouvelle, et il en sera ainsi tant que nous ne serons pas dépouillés de l'intelligence.

    La religion antoiniste
        Toute religion sérieuse, qu'elle soit dogmatique ou qu'elle soit une réaction contre le dogmatisme, a toujours le dogme pour base. Le scepticisme lui-même est une forme de dogmatisme, puisque douter sincèrement et se moquer de ceux qui ne doutent pas est une attitude de partisan. Sans doute existe-t-il des esprits raffinés qui ne se contentent pas de douter, mais qui vont jusqu'à douter de leurs doutes ce sont des exceptions qui ne se rencontrent qu'au milieu de peuples trop civilisés.
        Antoine, lui, ne doutait pas. Sa religion est basée sur une certitude inébranlable, une certitude absolue et qui est le point de départ de toutes ses extravagances: cette certitude, c'est qu'Antoine doit être glorifié comme un dieu. Au commencement il se contente de révéler, car sa mission, raconte-t-il, est de compléter l'œuvre des prophètes et d'adapter leur enseignement au développement actuel de l'humanité. D'où des révélations telles que celles-ci: « Je vous ai révélé qu'Adam n'existait que spirituellement; il est le moi conscient et Eve, qui n'existait qu'en apparence, le moi intelligent. Telles sont les deux individualités qui sont en nous, l'une réelle et l'autre apparente... J'ai révélé que la défaillance d'Adam ne lui permettait plus de supporter la réalité; il en souffrait et cherchait partout le moyen de s'y dérober. Il la cachait et s'imaginait que chez ses semblables il en était de même à son égard. En dissimulant la réalité, croyant se faire estimer avec l'apparence, Adam agissait tout contrairement à son avenir. » Adam et Eve sont l'objet constant des révélations d'Antoine. Leur histoire est pour lui une obsession. Adam n'a pas été le premier homme, « il en existait d'autres à cette époque, qui occupaient diverses contrées, formant différents milieux de la même élévation ». Néanmoins, c'est Adam qui a créé le monde où nous vivons, car il nous a transmis en héritage l'état d'incarnation où nous sommes. La faute d'Adam fut « d'imaginer Dieu en dehors de lui, en croyant le voir dans le serpent ». Par là, il se créa une « individualité personnelle »; il se forma un corps en y mettant « des milliers d'années »; il se dota d'intelligence et de sens qui sont « les attributs de l'intelligence »; il fut envahi par l'illusion que la matière et le mal existent; « Il chercha de quoi se revêtir pour se soustraire à la rue de ses semblables et s'imagina voir un arbre »; ainsi naquit dans Adam la notion de la distinction des sexes, et il connut « l'amour de la bestialité »; le père de l'humanité incarnée fit partager son erreur à ses compagnons. car « ils avaient confiance en lui ». Depuis lors, le genre humain vit dans « l'affreux cauchemar qu'est l'incarnation ». On voudrait savoir, en lisant cela, ce que le prophète de Jemeppe aurait « révélé », s'il n'avait pas été chargé d'adapter ses extravagances au développement actuel de l'humanité.
        Toutes ces révélations ne sont cependant pas de foi pour le disciple d'Antoine, car le bon père entend être tolérant et prudent. « Ce qui est aujourd'hui la lumière sera demain l'obscurité », tel est un de ses adages favoris. Il est cependant une vérité qu'il a voulu inculquer à ses disciples: une vérité qui n'est ni relative, ni lumière éphémère, mais la seule grande vérité; c'est celle que l'on trouve dans la préface de la Révélation : « Nous ne voulons pas faire d'Antoine le guérisseur un grand seigneur, nous faisons de lui notre sauveur; disons qu'il est notre Dieu ». Et dans le même ouvrage, il est appelé le messie du XIXe siècle, venu en mission pour régénérer l'humanité !
        S'il suffit, pour être régénéré, d'appliquer les préceptes antoiniste, le travail ne sera pas difficile. Antoine, en effet, supprime l'essentiel de la morale : les devoirs envers Dieu. « Nous sommes autant indépendants de Dieu qu'il l'est de nous », dit-il à plusieurs reprises, dans la Révélation et dans le Couronnement. Par ailleurs, il nie la réalité du mal moral: « Le bien et le mal n'existent pas ». Antoine affirme une partie des devoirs envers le prochain; il prêche la douceur, l'affabilité, le désintéressement et surtout le pardon des injures. Vit-à-vis de lui-même, l'homme n'a qu'un devoir, et c'est de suivre les penchants de sa nature : « La pudeur est un sentiment factice »; « On ne peut faire le mal, du moment qu'on suit les penchants de sa nature »; « Agissez d'après votre naturel, ne vous arrêtez pour personne, c'est ainsi que vous serez le plus rapprochés de la vérité ». On peut conclure, que « la morale antoiniste est beaucoup trop voisine de l'immorale ». Elle est immorale parce qu'elle méconnaît nos devoirs envers Dieu; immorale parce qu'elle nie la réalité du mal moral; immorale parce qu'elle supprime toute sanction; immorale, enfin, parce que le « messie du XIXe siècle » chargé de régénérer l'humanité et d'adapter à notre temps les révélations des prophètes, s'est contenté, pour toute morale, de reprendre la maxime du philosophe païen : Sequere naturam.
        Antoine, avons-nous vu, nie l'existence de Dieu. « Ne croyons pas en Dieu, mais croyons en nous et agissons naturellement. Sachons que nous sommes Dieu nous-mêmes », lit-on dans le Couronnement. Dès lors, pourquoi un culte ? C'est qu'Antoine a détourné sur sa personne les honneurs qui sont dus à Dieu seul. De son vivant, il s'est laissé proclamer le messie; depuis sa mort, les honneurs se sont accentués. En même temps que les honneurs, s'est accentuée la stupidité des cérémonies. Dans les cérémonies courantes, le desservant donne lecture des dix principes antoinistes; il commente ensuite à sa façon un passage de la Bible. Après quoi, recueillement prolongé de l'assemblée qui se retrempe dans la foi au père, afin de bénéficier de  ses inspirations et de s'imprégner de son fluide éthéré, qui finit par l'inonder. A la fin de l'inondation: les malades invités apprennent qu'ils sont soulages ou guéris. Les cérémonies importantes, telles que les inaugurations de nouveaux temples, sont beaucoup plus compliquées. Le public, « oublieux de la matière, y communie dans le fluide éthéré du père. Voilà pourquoi la consécration d'un nouveau temple antoiniste a une signification si sublime: elle nous réunit dans notre commune aspiration à la divinité, elle témoigne que nous nous remettons à notre père du soin de nous diriger et de nous protéger, afin que nous soyons comme lui assis sur la gloire de nos œuvres ».
        Le dieu Antoine a son collège de ministre, collège, dont les femmes ne sont pas exclues. Au sommet de la hiérarchie, il y a le « représentant du père », qui est inamovible; pour l'aider, un Conseil de huit membres. Actuellement, la mère Antoine porte le titre de « représentant du père ». Pour se rendre aux réunions cultuelles, le antoinistes portent un costume spécial, qui a été « révélé » par le père. Leur emblème est « l'arbre de la vue du mal », qui rappelle aux adeptes que la grande tâche est de s'épurer de la vue du mal, seule cause qui précipita Adam dans l'apparente incarnation.
        « S'épurer de la vue du mal ? demandera un lecteur trop zélé. Antoine n'a-t-il pas nié l'existence du mal, à différentes reprises et de façon formelle ? La contradiction est flagrante, comme sont flagrantes bien d'autres contradictions dans la religion antoiniste. » A quoi je répondrai par le grand, le seul, le véritable argument. Cet argument est le huitième précepte du père Antoine : « Ne vous laisses pas guider par l'intelligence ».


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