• À l'ombre du temple, le Père Dor (La Dernière Heure, 28 mai 1922)(Belgicapress)

    À l'ombre du temple, le Père Dor (La Dernière Heure, 28 mai 1922)(Belgicapress)À l'ombre du temple, le Père Dor (La Dernière Heure, 28 mai 1922)(Belgicapress)

    A L'OMBRE DU TEMPLE

    LE PÈRE DOR NE S’OCCUPE PLUS QUE DE MORALE
    …MAIS IL GUÉRIT LES CHEVAUX MALADES

        Une allée ombreuse aux confins d'Uccle, en ce charmant quartier du Fort-Jaco, où la verdure s'étale, tapissant les vallons, étoilant la cime des arbres.
        – C'est ici, nous dit un passant. Et il nous indique une claire maisonnette en briques rouges, précédée d'un jardinet et flanqué d'un portique. Un écriteau : « L'Ecole Morale » désigne à l'étranger la retraite du messie.
        Le messie du XXe siècle : ni plus, ni moins. C'est ainsi que s'intitule Celui (typographes, accordez une majuscule à cet homme-dieu) qui va bientôt nous recevoir.
        – Bientôt, dans quelques minutes, à votre tour, nous a dit l'accorte jeune fille tout de blanc vêtue qui est accourue à notre coup de sonnette.
        La salle où nous faisons antichambre est simple et proprette. Deux rangers de dix bancs, une horloge, un tronc et un poêle constituent tout le mobilier. Il y a aussi un bureau où s'étagent de multiples volumes sous bandes et devant lequel s'est remise à broder la jeune portière. Aux murs blanchis à la chaux sont appendus quelques cadres où se lisent des préceptes et un tableau où le messie du XXe siècle est représenté, grandeur naturelle, la main droite inclinée, d'un geste protecteur, vers une pauvre femme tenant en ses bras un enfant malade.
        Nous attendons. Un homme en deuil, un enfant, trois femmes d'âge mûr et deux jeunes filles – l'une modestement vêtus, l'autre en brouillard de dentelles – nous ont précédé.
        A chaque « consultation », une porte s'ouvre au fond de la salle, sur un petit cabinet et dans l'entrebâillement apparaît le messie prêt à recevoir le visiteur.
        Notre « tour » est venu ; mais il ne s'agit point pour nous d'une consultation : notre but est uniquement de nous rendre compte de l'épilogue véritable d'un grand procès.
        Et le Père Dor, très aimablement, nous accueille. Sa taille élevée, sa barbe de fleuve, ses yeux gris-fer, son bonnet d'apothicaire, son veston de coutil n'ont rien qui puisse laisser soupçonner un messie, fût-il du XXe siècle. Les cheveux raccourcis à la longueur normale ne donnent même plus l'air d'apôtre ou de grand initié que le Père Dor prenait autrefois.
        Cet autrefois, c'était au temps des procès : celui qui eut lieu devant le tribunal correctionnel de Charleroi, le 16 novembre 1916 ; celui qui se déroula, en appel, à Bruxelles, le 16 mai 1917. Condamné pour exercice illégal de la médecine, le père Dor fut acquitté de la prévention d'escroquerie.
        – J'ai compris ce jugement, nous dit-il. Je ne m'occupe plus que de morale.
        Dans une lettre qu'il adressait sa sœur, Louis Veuillot (qui n'avait point connu le Père Dor) signalait une statistique d'après laquelle « le bon Dieu se permet de tuer encore neuf cents personnes, bon an, mal an, rien qu'en France, avec son tonneur ». Et il concluait : « La science ne serait donc qu'un vain mot ? »
        L'opinion du Père Dor n'est guère différente de celle de l'écrivain catholique. Il estime que la science n'est rien sans la foi :
        – Vous n'êtes donc plus guérisseur ? lui demandons-nous.
        – Je veux détruire ce mot en faisant comprendre qu'il ne suffit pas de supprimer les effets de la maladie, comme font les médecins. Il faut remonter à la cause. Et c'est ici que la morale intervient. Chacun doit se guérir en faisant disparaître ses défauts, ses vices, ses mauvaises habitudes qui engendrent le mal...
        – Votre doctrine est donc celle de l'amélioration du « moi » ?
        – Oui. Mais j'opère aussi sur les effets en coupant la douleur.
        – Ah ! et quelle est votre thérapeutique ?
        – Tout simplement la foi que l'on a en moi. En réalité, je soulage mais je ne guéris pas puisque, comme je l'ai dit, pour guérir, il faut traiter la cause. Néanmoins, je guérir des chevaux que des fermiers m'aconduisent.
        – Il ne peut cependant plus être question de la foi en pareil cas ?
        – Alors, c'est mon fluide qui agit par transmission ; car, vous le savez, nous avons tous un fluide, bienfaisant ou malfaisant, comme la fleur qui dégage une odeur. C'est un fluide d'amour que j'ai en moi ; alors, il suffit que je mette la main comme vous voyez sur cette gravure et paf ! je fais sauter le fluide mauvais. Mais, je le répète, ma force est surtout de démontrer la cause du mal.
        – Au point de vue philosophique, quelles sont vos idées ?
        – Je crois à l'âme, simplement, à l'âme désincarnée et à la réincarnation. Pour moi, Dieu est une invention et c'est pourquoi, contrairement à feu Antoine, mon oncle, le fondateur de l'Antoinisme, j'estime que la prière est nuisible, parce qu'elle ne contribue pas à l'amélioration de l'individu. Je suis l'ennemi du fanatisme, quoique tolérant.

    Ancien restaurateur...

        Ayant cité le nom d'Antoine, le Père Dor nous raconte alors longuement comment, de restaurateur établi près du temple de son oncle à Jemeppe-sur-Meuse, il lâcha son commerce qui lui rapportait plus de 50 francs par jour pour se révéler lui aussi, nouveau messie.
        Un jour, nous explique-t-il, sa compagne étant souffrante, il parvint à la guérir, grâce « à son fluide supérieur à celui d'Antoine ».
        Comme son oncle, Dor s'en fut alors en Russie. Il s'installa ensuite à Bruxelles, rue du Vautour, puis à Roux, pour revenir définitivement à Uccle en 1916.
        – Ici, ajoute-t-il, je ne donne plus qu'une « instruction » par an, le jour de la Toussaint ; mais je donne des « consultations », d'ailleurs gratuites, quatre jours par semaine. Il n'est pas permis de m'offrir ou de me promettre de l'argent ou des cadeaux.
        – Ce tronc qui se trouve dans le temple...
        – Ça, ce sont les oboles pour l'entretien du temple : la peinture, les réparations.
        – Et vous donnez de nombreuses « consultations » ?
        – Des centaines par semaine. J'en donnais des milliers à Roux ; mais je préfère dix adeptes qui me comprennent à dix mille qui ne me comprennent pas. Je ne veux pas, moi, fonder une religion. Je suis adversaire des religions.

        L'auteur de « Christ parle à nouveau » nous remet alors quelques brochures relatives à ses « instructions ». Il y est question de morale, d’esprits dématérialisés, de passions, de sports, d'élections et aussi de la femme qui « doit, après toute querelle, s'avouer coupable comme, en effet, elle l'est toujours » (sic).
        Nous prenons congé du Père Dor et nous revoici, comme devant, attendant le messie qui nous tendra les mains, avec, au bout des doigts, l'ombre et la fraîcheur.
        Car il règne, en cette matinée caniculaire, une chaleur à faire sécher l'encre sur la plume d'un journaliste.          R. H.

    La Dernière Heure, 28 mai 1922 (source : Belgicapress)


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