• André Baillon, Germaine Lievens & l'anarchisme, le mysticisme

    Illustration : Charles de Groux-Portrait de Mme Germaine Lievens

        Moins simples est la question de l'exaltation religieuse qui a pris Baillon à Westmalle. Dans En sabots et Histoire d'une Marie, il en parle d'un ton légèrement badin et ironique. Mais la lecture de sa correspondance avec Stiévenart donne franchement l'impression que la question lui tient à coeur et que, en tout cas pendant son premier séjour, il a cherché et cru trouver un exutoire à ses complexes dans une piété quasi populaire et primitive. Le contact avec la nature n'y est peut-être pas étranger : « Comment flâner  par la bruyère et ne pas croire en Dieu ? » Ni la proximité de l'abbaye des trappistes qui rayonnent un catholicisme très différent de celui des jésuites abhorrés, et dont il a suivi chaque matin la première messe peu après son arrivée. Ses lettres datées de 1904 et 1905 parlent très souvent de ses lectures de la Bible et L'imitation de Jésus-Christ, et surtout de sa recherche de la simplicité évangélique.
    Frans Denissen, André Baillon, le gigolo d'Irma Idéal, p.143-144
    Editions Labor, Archives du Futur, Bruxelles, 2001

        Comme cela se faisait assez souvent dans les familles aisées, ses parents envoient [Germaine Lievens] à seize ans dans un pensionnat anglais avec Camille, sa cadette de deux ans, pour y achever ses études secondaires. Ce changement est loin d'être une réussite : au bout de six mois, la direction de l'établissement envoie à la famille Lievens des rapports alarmants sur la conduite de l'aînée. Elle pratique l'ascèse et la mortification, reste des nuits entières dans sa chambre à prier, à genoux, connaît des crises de mysticisme et déclare enfin qu'elle a l'intention de devenir carmélite.
    Frans Denissen, André Baillon, le gigolo d'Irma Idéal, p.161-162
    Editions Labor, Archives du Futur, Bruxelles, 2001
        L'auteur fait une allusion au fait que Germaine, ainsi que Baillon, auraient pratiqué quelques séances spirites, notamment quand l'écrivain s'identifie si bien à son personnage de Zonzon Pépette et qu'il "fait croire à Germaine, et sans doute s'en persuade-t-il lui-même, qu'il a tué deux fois et que de surcroît, le fantôme de Zonzon le poursuit jour et nuit, qu'il lui a jeté un sort." (p.210-11).

        Dans son essai « Portrait de l'artiste en chapeau mou et lavallière », Paul Aron tente de situer le séjour de Baillon dans le contexte plus vaste d'un courant largement inspiré d'idées socialistes et anarchistes qui, vers 1900, poussèrent des artistes et des intellectuels à tourner le dos à la société, en particulier aux cotés industrielles en pleine expansion, et à faire l'expérience, dans la solitude de la campagne, de communautés anticapitalistes ou précapitalistes.
    Frans Denissen, André Baillon, le gigolo d'Irma Idéal, p.142-143
    Editions Labor, Archives du Futur, Bruxelles, 2001

    Paul Aron, Portrait de l'artiste en chapeau mou et lavallière
    - Entre l'anarchie et l'écologie
    - Les amis du [Café du] Téléphone
    - Vers la consécration : Baillon à Paris
    - Les raisons d'une reconnaissance
        André Baillon y est décrit comme évoluant dans une monde aux idées socialisantes et où la littérature populaire a sa place. Sa rencontre avec Germaine Lievens, qui deviendra antoiniste est aussi à mon sens un indice. En effet, l'antoinisme sera aussi décrit par les écrivains populaires parisiens comme André Thérive ou Jean Delay. Robet Vivier est de la même tendance. La Dupe, publié en 1944, mais commencé bien plus tôt dès 1896 et repris en 1901 quand il rencontre Marie Vandenberghe puis en 1913 "après avoir réussi à toucher le coeur de Germaine Lievens, il reprend ce texte avec fougue et cette fois, à en croire sa compagne, il l'achève." "[En 1932], à l'apogée de sa liaison fatale avec Marie de Vivier, il entame la troisime partie qui aura le titre fatidique de La dupe. Mais parvenu environ à la moitié de l'ouvrage, il y met fin en se supprimant, sans avoir pu se réconcilier avec le personnage qu'il avai été et qu'avec un agacement croissant il appelle « ce petit crétin » dans sa correspondance avec Marie. Le texte inachevé de La dupe ne sera publié que douze ans après sa mort. Son premier roman sera aussi le dernier. Mais Baillon n'aura pas pu boucler la boucle." (Frans Denissen, p.47-48) La Dupe est le pont entre l'anarchisme et le prolétarisme... Germaine Lievens est le pont entre l'anarchisme et le mysticisme...
        André Baillon est un Flamand de langue française, alors que Germaine Lievens est une Wallonne d'irigine flamande.

        "Dans une lettre autobiographique, Baillon évoque d'ailleurs ces années avec le persiflage dont il est coutumier : « Je portais déjà le chapeau mou et la grande lavallière qui, en ce temps était l'insigne autant des écrivains que de l'anarchiste que je croyais être. » Il s'est peint dans La Dupe, dont le héros fait la connaissance d'un jeune nihiliste russe et, comme Baillon, fréquente les cercles anarchistes."
        Paul Aron conclut par l'évidence d'une "sollicitude que les milieux de gauche ont accordée à sa carrière, et la constante fidélité que Baillon observa à leur égard."
    source : Textyles N°6 Novembre 1989

        Mais aussi une distancation avec le politique, tout comme Louis Antoine (et l'Antoinisme) : "Bourgeois et petits-bourgeois, jacobins et mystiques, battants et perdants", "Eleveur de poules, anarchiste, aspirant trappiste ? Non : écrivain" et "Des artistes" sont trois sous-titres de la biographie de Frans Denissen. André Baillon était de tendance prolétaro-anarchisto-socialiste, il est devenu artiste, il rencontre Germaine Lievens qui est artiste aussi, et qui deviendra mystique antoiniste.

        André Baillon essaya donc avec plus ou moins de succès cette vie à la campagne. Germaine Lievens quand à elle préféra, comme plus tard André Baillon (« Il faut ouvrir ses fenêtres et ses portes. Il faut sortir de sa chambre, le malheur dût-il vous prendre à la gorge dès le seuil, comme un voleur. »), prendre le torreau par les cornes et venir en aide à la population par le biais de l'Antoinisme : fuite contre fuite en avant ?

        Georges Eekhoud dit de Baillon qu'il était un sceptique doublé d'un mystique. Ce qui a réuni André et Germaine étaient leur mysticisme, et le fait d'être artiste les a séparés...


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