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André Thérive - Les observances héroïques
Notre hôte improvisé habitait un simple lieu-dit ; sa demeure avait l'aspect d'une cave voûté, derrière une espèce de treille où pendait un bidon d'essence troué qui servait aux ablutions rituelles, et aussi à la toilette des mécréants. Il n'y avait rien à manger, que des oeufs et un peu de fromage rance, rien à boire qu'une eau-de-vie fort âpre et un café délicieux. Les murs étaient curieusement ornés de vieilles affiches grecques, italiennes, françaises même, dont seule l'enluminure comptait ; et parmi elles s'étalait un étonnant placard donnant l'horaire d'autocars américains dans je ne sais quel Etat de l'Ouest. Quelque démarcheur de Chevrolet avait dû l'apposer là en souvenir de son passage.
On pouvait, à la rigueur, coucher sur la terre battue ou sur un grabat de peaux de bique ; mais dès trois heures du matin le patron, devenu muezzin, montait sur son balcon de bois branlant et criait la vérité d'Allah au bétail qui paissait dans les prairie voisines. Les deux soldats, en piteuses tuniques réformées de l'armée italienne, se levaient à ce signal et saluaient Dieu avec le jour. Je songeais au Père de Foucault, seul dans son coin d'Afrique, qui tenait à sonner la cloche six fois par jour pour des fidèles absents. Je songeais à la mission de Sabatier, dans les marais du Bahr-el-Ghazal, où l'on obligeait un clairon sénégalais à toutes les sonneries de la caserne française Je songeais à ces ingénieurs norvégiens du Spitzberg qui passent un smoking le dimanche soir pour dîner dans leur baraque sous la neige. Il n'est rien de plus beau que ces observances héroïques.
ANDRÉ THÉRIVE, Visite aux Musulmans d'Europe
La Revue de Paris 15 décembre 1937, p.892-93
source : gallica
Tags : religion, matière
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