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André Thérive - Les Portes de l'Enfer (1924)
Auteur : André Thérive
Titre : Les Portes de l'Enfer
Édition : Bloud et Gay, Paris, 1924
Recensions :
André Thérive
Les Portes de l'Enfer
Voici un livre d'érudition vraie, qui, en deux cent vingt-cing pages, remplacera pour le lecteur curieux une grosse bibliothèque. Il intéressera tous ceux qui pensent que la science contemporaine laisse en dehors de ses investigations tout ce qui fait le sel du monde, tout ce qui préoccupa et préoccupera toujours l'humanité pensante, je veux dire le mystère. Sans l'inconnu, c'est-à-dire sans un plan supérieur proposé à nos imaginations, aucun progrès ne serait possible et l'homme ne se distinguerait en rien de l'animal.
Sous ce titre : Les Portes de l'Enfer, c'est donc, en réalité, tout ce qui constitue la substance humaine que M. André Thérive a résumé. L'art et le satanisme, la vague théosophique, le spiritisme devant les lettres et la philosophie, la leçon de la Kabbale, l'ancêtre de La Divine Comédie, la légende de Dante hérétique, le pessimisme éternel, autant de chapitres que l'on ne saurait résumer, mais que l'on pourrait développer, au contraire, en vingt volumes.
Ce qui nous plaît chez l'auteur, c'est son sens critique aigu qui, malgré certaines préférences évidentes, lui permet de porter des jugements de bon sens sur les questions les plus embrouillées. Je n'en veux pour exemple que les mystères du Graal, dont les complications inouïes seraient bien faites pour dérouter le plus laborieux pondeur d'in-folio allemands.
A vrai dire, si l'on se perd dans la symbolique, on risque de s'égarer définitivement. La voie philologique paraît plus simple. D'où vient le mot Graal ? En Savoie et en Suisse, grâla, ou crôl, signifient une jatte. En Normandie, en Auververgne, graset désigne une lampe-vaisseau. Peut-être y a-t-il là aussi un jeu de mots, grasalis signifiant un récipient en bas-latin, et gradalis, un livre pieux. Le graal signifierait donc, à la fois, un livre d'initiation et une soupière. Si l'on sait que grasalis désignait dans le Midi une mesure de pêcheur pour le poisson, on comprendra l'origine de l'idée du Riche Pêcheur. D'autres équivoques sur le plat et la lance enrichissent également la légende. Quelle peut être également la transformation apportée dans la légende du Graal par l'idée chrétienne ? On sait, en effet, (Montalembert nous l'a tout au long raconté), quelle fut l'indocilité des chrétiens de Bretagne contre l'autorité catholique. Le Graal venait, en effet, de Grande-Bretagne, où il avait été apporté d'Orient, et la Table Ronde a failli représenter une troisième communion mystique. Les moines de Cîteaux, dans leur réaction contre les frivolités de la féodalité galante, ont dû tourner les légendes du Graal vers une fin morale et théologique. vers une fin, disons-le, plus catholique. Et le Graal ne fut plus qu'une sorte de figure de l'Eucharistie, sa Quête représentant le voyage du chrétien à la recherche de son Dieu, qu'il n'atteint que dans la mort, comme on le voit par l'exemple de Lancelot et de Galaad. La légende du Graal n'est point, du reste, sans porter en elle un ferment d'hérésie, et l'auteur était bien placé pour le découvrir. Salomon l'avait dit par avance à Galaad :
- Si tu veux être en paix, garde-toi des femmes sur toutes choses.
« Entendons bien, nous dit M. André Thérive. Ces préceptes qui adjurent le monde de finir, le monde qui insultait Dieu par son existence même, ces préceptes ne posent pas une morale supérieure et idéale ; ils supposent bel et bien une espèce de blasphème et de négation. Aussi les néo-bouddhistes du dernier siècle n'ont-ils eu garde de le négliger. Parsifal, le guerrier-vierge, devenu schopenhauérien, a incarné pour Wagner la négation du vouloir vivre. »
Nous sommes heureux de l'entendre dire à l'auteur du Plus Grand Péché, dont nous parlâmes ici même à l'occasion du Prix Balzac.
Si l'on voulait trouver une raison à cette fin de toutes choses, peut-être pourrait-on la trouver, à mon sens, dans le désir très banal de conclure qui est particulier au roman, fût-il de chevalerie. Une belle histoire doit se terminer en apothéose ; l'apothéose suppose quelque chose de surhumain ; l'auteur, avant de quitter tous ses personnages, doit les conduire jusqu'au bout de leur vie ou de leur geste ; il me semble bien que toutes les théories négatives naissent de ce besoin obscur de conclure, aussi bien dans le roman qu'en philosophie. La théorie du non-être, celle de la fin des temps aventureux » n'est-elle point, à bien prendre, qu'une forme mystique des faciles dénouements de théâtre, lorsque l'auteur, sentant venir la « fin du troisième acte, met dans la main de son héroïne ou de son héros la facile conclusion du revolver ?
Ne l'oublions pas, - et M. André Thérive est le premier à nous le faire remarquer, c'est souvent dans les idées populaires les plus simples qu'il faut trouver l'origine des conceptions philosophiques les plus embrouillées.
G. de Pawlowski
Les Annales politiques et littéraires, 8 février 1925
Les Portes de l'Enfer
par André Thérive
Point n'est besoin de profondes connaissances exégétiques pour savoir que cette métaphore : les portes de l'Enfer, désigne les puissances diaboliques, auxquelles il ne sera jamais donné de prévaloir contre l'Eglise du Christ ; point besoin, non plus, de forte culture gréco-latine pour se rappeler qu'au 19e chant de l'Odyssée, Homère affirme que les songes véridiques sortent du royaume de Hadès par une porte de corne, tandis que les trompeurs montent par une porte l'ivoire. Ingénieuse fiction, bâtie sur un simple jeu de mots (kéras, corne, avec krainô, accomplir ; éléphas, ivoire, avec éléphairomai, tromper) et reprise par Platon dans le Charmide et Virgile dans l'Enéide. Et voilà donc limpide, à présent, le titre à première vue un peu mystérieux du morceau livre de M. André Thérive. Non seulement la cité de Dieu est attaquée par les forces sataniques, mais aussi la cité humaine que le respect de la liberté de penser livre sans défense à des rêves et des folies qui, d'origine infernale, menacent la civilisation.
Ces rêves et ces folies, d'apparence souvent innocente, doctrines fuyantes et sinueuses : spiritisme, théosophisme, kabbale... il importe de leur arracher le masque ; tout au moins d'attirer sur elles une attention raisonnable. C'est ce qu'a fait M. André Thérive en des études qui sont d'un philosophe savant et subtil. Aussi bien, n'a-t-il pas oublié la porte de corne. Toutes les fois qu'il en a l'occasion il y regarde afin d'y chercher vérité et poésie. Il s'en trouve même dans les pires erreurs. Satan ne fut-il pas le plus beau des singes ?
Et il reste le plus malin ! Ne s'est-il pas glissé dans les pages mêmes que M. André Thérive vient d'écrire pour combattre ! Comment, en effet, si les portes de l'Enfer n'ont pas quelque peu prévalu contre le Grammaire-Club, comment expliquer, sans la plume de M. André Thérive, ce mignon solécisme : « Ce ne saurait être pour rien que les esthètes purs ont posé en blasphème contre Dieu la dévotion envers l'art... » (page 14) et cet autre, bien plus grave : «... le Pimandre est encore facile à se procurer » (p. 36), répété p. 76. ... le P. Lucien Roure dont les deux ouvrages sont fort aisés à se procurer ». Oui, oui, le diable est bien malin ! - (Bloud et Gay.)
Henri CASANOVA.
Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 28 mars 1925
On peut lire en page 9, juste ce petit signalement contre l'orientalisme :
"Aujourd'hui, l'on voit communément, sous les espèces d'un « orientalisme » d'aloi confus, reparaître l'antique dualisme, dont le satanisme est seulement une figure plus franche. En Amérique, en Belgique, en Allemagne, un peu partout, on voit surgir des messies indulgents et bénisseurs dont le vieux manichéisme semble bien être la doctrine suprême. Or dans les plus innocentes prédications qui vous proposent tour à tour l'amour universel, l'abdication de l'intelligence, la négation du mal, de la souffrance, et de la matière, qu'elles assimilent à ce principe, le critique informé subodore assez vite l'évangile mensonger de la haine, de la charnalité et du culte des ténèbres. Ce sont là de grands mots ; mais quand les employer sinon en pareille circonstance ?"
Sans évoquer l'Antoinisme, c'est bien ce dont parle l'auteur.
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