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André Thérive - Sans âme
ILLUSTRATIONS DE GERMAINE ESTIVAL - FERENCZI, COLL. LE LIVRE MODERNE ILLUSTRE 1933, BROCHE.
Germaine Estival
Il y a des êtres que la chance accompagne. Germaine Estival paraît
être du nombre de ces élus. Il y a quatre ans, elle travaillait pour
elle, peignant et dessinant, sans préoccupation de succès, au gré des
rencontres et de son inspiration. Elle était, sous son véritable nom,
professeur de dessin de la ville de Paris et, tout en caressant au fond
de son coeur, le désir de percer qui est inhérent au rôle même de l'ar-
tiste, elle ne s'agitait point, ne tentait rien pour devancer l'heure,
ne cherchait surtout pas les motifs qui pouvaient plaire au public.
Elle plantait son chevalet, ici et là, en son pays d'Auvergne, dans
les Vosges ou les Alpes, quand elle était en vacances, près de son
domicile, à Paris, durant le reste de l'année.Or, le spectacle qu'elle avait de ses fenêtres était... Le Père La
Chaise ! Elle peignit donc le Père La Chaise. Près de chez elle, était
le quartier lépreux, erripouacré, croulant de Ménilmontaht ; elle
peignit ce « Ménilmuche » qu'avait chanté Bruant. Elle fit aussi quel-
ques incursions dans le quartier voisin de Charonne, que décore une
très belle église entourée d'un bon vieux cimetière, où il paraît bon
dormir. Que voilà, n'est-ce pas ? des sujets propres à passionner
le bourgeois ! Eh bien, chose à peine croyable, c'est de ces peintures
véridiques, sombres, parfois sinistres, que devait soudainement jaillir
sa réputation.Personne avant elle n'avait peint ces rues sordides, ces maisons
aux murs ravalés, ces architectures sans style, habitées par des gens
qui n'ont pas lé loisir d'avoir de la spiritualité. EUe donnait à tout
cela, cependant, une valeur d'art insoupçonnée. Elle créa, selon
l'heureuse expression d'André Thérive, « la fonction de ce peintre
de la nature inhumaine. » Quand elle exposa, pour la première fois,
aux Indépendants, en 1926, on remarqua immédiatement ses envois,
et elle eut des amateurs qualifiés. Non seulement, on goûtait ces
aspects ignorés d'un Paris qui n'était même pas celui de la tournée
des Grands Ducs, mais on aimait la fermeté de sa touche, la finesse
de ses gris, la qualité de sa mise en pages, sa manière propre de faire
chanter un blanc, un vermillon, un bleu crus, sur ces crépis suintants
de maisons à bistros, à hôtels borgnes ou à usage de prisons.C'était bien là sa vocation. Sur ces entrefaites, elle lut le Sans Ame,
de Thérive. Thérive est un écrivain plein d'érudition et de talent ;
il devait recueillir, au Temps, la difficile succession de Paul Souday,
esprit d'une rare indépendance et d'une culture presque encyclopé-
dique, et y réussir. Mais, en Thérive, le critique éclipsait le romancier.
Germaine Estival sut comprendre ce^dernier et ce.Sans Ame, qui l'en-
thousiasma, à juste titre — car c'est une oeuvre de pénétrante analyse,
de vérité et de vie — lui inspira un projet d'illustrations, dont, à
son tour l'auteur s'émerveilla. On aurait crû que Thérive avait écrit
Sans Ame pour le crayon de Germaine Estival ! C'est une rencontre
aussi peu commune que celle de Doré et du Balzac des Contes Drola-
tiques, de Daniel Vierge et de Don Pablo de Ségovie, de G. Jeanniot
et d'Adolphe, de Maurice Denis et du Fiqrelti. Aussi, quand l'artiste
prépara sa première exposition particulière, en mai dernier, l'éminent
critique réclama-t-il l'honneur d'écrire la préface du catalogue.Cette présentation d'une jeune femme de talent par un maître
du feuilleton littéraire, fit un bruit considérable. Ce fut un départ
sensationnel, car tous les journaux firent écho à Thérive. Le nom
de Germaine Estival était lancé ; le réel et original tempérament
de l'artiste, portraitiste et paysagiste aussi bien que peintre des rues
cachectiques, ne le laissera pas retomber.CLÉMENT JANIN.
L'Auvergne littéraire et artistique
7e année - N° 52 - Juin-Juillet 1930
Tags : biographie, antoinisme français
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