• André Thérive, Sans Ame (Mercure de France 1 avril 1928)

    André Thérive, Sans Ame (Mercure de France 1 avril 1928)

     

        Sous ce titre Sans Ame, M. André Thérive vient de publier un roman d’un caractère réaliste, sinon naturaliste, assez surprenant quand on sait les termes attaches classiques de cet écrivain. Mais voulant rendre sensibles son lecteur les effets du mal produit précisément par le désordre actuel, il a dû se placer au milieu même de l’incohérence consécutive à la rupture des cadres sans lesquels l’élément mystique, nécessaire à la vie des hommes devient un danger. Et c’est dans le peuple, non dans la société bourgeoise et mondaine qui peut encore faire illusion, qu’il est allé étudier la profonde misère morale de notre temps.
        Roman de mœurs autant que roman psychologique, son récit, qui fait à la fois songer à Huysmans et à M. Georges Duhamel, se passe dans les faubourgs parisiens et, dans une louche atmosphère, évoque de bien curieux personnages, à la fois tourmentés d’inquiétudes charnelles et de spirituelles aspirations.
        Julien Lepers, le héros de M. Thérive, un déclassé que ses goûts crapuleux ont entraîné vers la bohème plébéienne, est victime de cette contamination dont je parlais plus haut. Il cherche dans des aventures sans beauté, où il obéit au seul attrait des joies sensuelles, une ivresse qui le trompe sur le néant de sa pensée et de son cœur. Il s’acoquine avec une femme non seulement presque laide, mais dont la vulgarité l’humilie, et auprès d’une autre, qui éveille en lui de pures appétitions, pèche par libertinage contre la tendresse qu’il inspire.
        Remarquons-le, car la chose a son originalité, ce n’est pas tant la disgrâce matérielle des gens qui évoluent autour de Julien que M. Thérive nous montre, et sur laquelle il insiste avec pitié. Si l’antoinisme dont il nous entretient (et qui est à la religion ce que les travaux du laboratoire où il nous introduit sont à la vraie science) recrute ses adeptes parmi des misérables éprouvés par les privations et les maladies, nous voyons que la consolation qu’il leur offre répond à un besoin d’amour et à un désir de certitude. Aussi bien, quoi d’autre que ce besoin et que ce désir dans la curiosité qui pousse Julien à se mêler aux réunions des adeptes du père Antoine, et à parler de l’enseignement de cet apôtre avec l’étrange petite danseuse Lydia qui le fait rêver d’un bonheur inconnu de lui ?
        Naturaliste, le roman de M. Thérivè ne l’est donc qu’en fonction de la spiritualité qui l’inspire. La fleur se dégage ici du fumier, peut-être pas avec assez d’élan, à mon gré et l’on reste, le livre de M. Thérive fermé, sur une impression bien pessimiste – je dirai même désespérée. Mais la sincérité de l’auteur ne fait pas de doute. En elle réside le secret de la sympathie qu’il nous inspire pour ses personnages et pour son héros même, malgré qu’on en ait. Non que celui-ci lui ressemble ! Qu’il soit une manière de projection de son angoisse métaphysique, c’est assez pour qu’on puisse dire qu’il a été conçu sous le signe du lyrisme.

    Mercure de France, 1 avril 1928


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