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Antoine le Guérisseur, chronique judiciaire (La Meuse, 15 juin 1907)(Belgicapress)
Il y avait au Palais une foule immense. Jamais on n'avait vu écrasement semblable au correctionnel, même pour les affaires les plus sensationnelles. La foule de bordait dans les couloirs, sur les escaliers, dans le jardin, maintenue par les gendarmes.
Pourquoi tout cet émoi ? Parce que comparaissait devant le Tribunal correctionnel, sous la prévention d'avoir exercé illégalement l'art de guérir, Antoine le guérisseur, qui s'est acquis à Jemeppe et d'ailleurs dans tout la région une notoriété extraordinaire.
Cet homme d'aspect si modeste, d'allures si effacées, a la physionomie d'un ouvrier endimanché, qui s'exprime doucement, difficilement, exerce un ascendant extraordinaire.
C'est par milliers que défilent les malades chez lui. Un groupe de plusieurs centaines de personnes l'a escorté au Palais. Quand il est sorti, les femmes pleuraient, l'entouraient, l'embrassaient même. Des cris de : « Vive Antoine ! » se sont élevés. Il a adressé quelques paroles, puis est parti, suivi par ses fidèles.
« Je suis venu le dernier, je retournerai le premier », avait-il déclaré aux magistrats.
Antoine a été poursuivi à la suite surtout d'une épidémie qui sévit avec intensité sur les enfants à Jemeppe et emporta de nombreuses victimes. Plusieurs mères portèrent leurs enfants chez le guérisseur, au lieu de se rendre chez un médecin.
De nombreux témoins ont défilé devant le Tribunal. Tous affirment dans Antoine la confiance la plus inébranlable.
L'un a déclaré : « Mon enfant est mort. Cependant, je n'ai qu'en Antoine une foi absolue. Je le considère comme le bon Dieu. Si un autre de mes enfants tombait malade, c'est chez Antoine que je le porterais. »
Toutes disent que le prévenu ne prescrit aucun médicament, qu'il conseille simplement de donner aux malades de l'eau sucrée ou du lait.
Il impose les mains, comme un prêtre.
M. le substitut Dupret a requis la condamnation. Cette façon d'agir d'Antoine entraîne des conséquences déplorables.
Il empêche les parents de consulter un médecin en cas de maladie de leurs enfants.
Il déclare, en effet, qu'il est inutile d'aller trouver un docteur. Le ministère public a rappelé qu'Antoine avait été déjà condamné pour faits du même genre en 1901.
Le prévenu a présenté lui-même sa défense. Et là résidait surtout l'intérêt de l'affaire. Antoine parle avec une conviction d'apôtre. « Jamais, a-t-il déclaré, je n'ai exercé l'art de guérir. Les malades viennent se faire guérir chez moi. Je n'ordonne pas de médicaments. Jamais je ne demande aucun paiement et je ne reçois rien. Il y a un tronc. On m'envoit souvent des mandats-poste. Ceux dont je connais l'expéditeur, je les renvois. Les autres, je suis bien forcé de les garder.
Les malades ne peuvent être guéris s'ils n'ont pas la foi. Il faut la foi pour comprendre la foi.
Jamais je ne m'engage à guérir les malades, si une voix intérieure ne me dit pas que je peux les guérir.
J'use d'un pouvoir que j'ai moi-même. Je ne suis pas spirite, je ne fais pas de magnétisme. Je me borne à écouter les voix qui sont en moi.
En agissant ainsi, j'ai la conscience de faire le plus grand bien autour de moi. On a amené ici des personnes dont les enfants sont morts. On aurait dû aussi amener tous ceux dont les enfants ont été guéris, quoique renoncés par les médecins.
Ceux-là se comptent par milliers et peut-être par millions.
Je serais un égoïste si je ne faisais pas tout mon possible pour soulager mes semblables. J'accomplis ainsi un devoir de charité. »
Le Tribunal, après avoir remis le prononcé de son jugement à la fin de l'audience, l'a ensuite postposé à vendredi prochain.La Meuse, 15 juin 1907 (source : Belgicapress)
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