• Antoine le Guérisseur (Journal de Bruxelles, 7 juillet 1912)(Belgicapress)

    Antoine le Guérisseur (Journal de Bruxelles, 7 juillet 1912)(Belgicapress)

    Antoine le Guérisseur

        La Gazette de Liège consacre au « guérisseur », qu'on a enterré dimanche à Jemeppe, ces lignes intéressantes :

        Le guérisseur n'a pu se guérir. Sa femme, que les adeptes appellent notre Mère, continuera les opérations. Elle ne possèdera pas le même prestige ; il lui manquera toujours la barbe patriarcale du mari, laquelle en imposait beaucoup aux visiteurs. Il est probable que l'antoinisme ne survivra guère à son chef, les femmes n'ayant jamais pu fonder ou maintenir des religions durables. Dans la multitude des fidèles, on ne signale que trois hommes influents : un avocat, un capitaine en retraite et un professeur. Le reste du troupeau se compose de petites gens très zélés, mais incultes, et qui seraient bien embarrassés de rendre compte de leur foi.
        Il est juste de reconnaître que M. Antoine s'était acquis une notoriété considérable. Avant l'année 1905, il était un spirite ordinaire : il avait perdu un fils et le spiritisme lui avait révélé que l'enfant s'était réincarné, à Paris, dans la peau d'un pharmacien. Bien des spirites commencent par là : affolés par un deuil, ils cherchent à entrer en rapports avec le cher disparu ; leur imagination ou l'adresse d'un imposteur achève de les duper. Ayant réussi convenablement à faire tourner les tables et à déchiffrer l'écriture des médiums, M. Antoine s'établit rebouteux ; il aida les pharmaciens à écouler des petites bouteilles de liqueur Koene : « 5 verres à 7 gouttes par jour, 4 ou 5 minutes avant le repas ». Nous conservons le manuscrit original d'une de ces prescriptions, qui d'ailleurs devaient être nombreuses, le même remède guérissant également tous les maux. La justice veut entraver ce petit commerce. Antoine ordonna à ses malades de l'eau pure magnétisée par lui. Cette panacée remplaça parfaitement la drogue. Puis vinrent les passes, individuelles ou collectives. Il y eut des guérisons en masse, du moins on le dit, car, soit modestie du thaumaturge, soit ingratitude des clients, il a été impossible jusqu'alors de contrôler sérieusement un de ces miracles. Les tracts antoinistes, qui recueillent pieusement les moindres paroles du maître et les questions de ses disciples, ont obstinément oublié de signaler les cas de guérison qui ont fondé la réputation de M. Antoine. Espérons que cette lacune sera comblée.
        Nous avons examiné consciencieusement les divers écrits qui prétendent contenir la doctrine du prophète de Jemeppe : l'« Enseignement », l'« Auréole de la conscience », le « Couronnement de la révélation », les fascicules de l'« Unitif ». Ces nouveaux évangiles sont à peu près incompréhensibles. Les mots les plus usuels prennent apparemment une signification spéciale qui ne figure pas dans les dictionnaires. Les contradictions fourmillent. Il serait difficile d'extraire de ce fouillis une théorie quelconque. Sur la divinité, on nous fournit des notions incohérentes. Dieu est parfois « un bon père de famille » ; ailleurs, nous sommes tous Dieu, ou en train de le devenir. Le Dieu d'Antoine n'a besoin d'aucun culte : « il aime d'autant moins qu'on le loue qu'il est plus grand ». Le démon est « le mauvais génie, cause des maladies, des accidents, des grands fléaux qui accablent l'humanité », ou bien « notre mère qui nous nourrit de son sein. Nous sommes plutôt enfants du démon qu'enfants de Dieu » !
        M. Antoine propose même « d'adorer le démon, si empressé pour nous... Nous retrouvons en lui le vrai Dieu, et dans l'intelligence, la lucidité de la conscience ». Il ne se gêne d'ailleurs pas pour affirmer exactement le contraire : « La vue du mal nous prive de l'amour qui ferait de nous un vrai Dieu, tandis qu'elle nous contraint d'être un démon. »
        Selon le docteur, le mal n'existe pas : c'est un produit de notre imagination. Tout ce qui tombe sous les sens est une illusion. L'homme est libre d'agir à sa guise, pourvu qu'il suive son instinct. La foi est le remède universel : consulter les médecins c'est manquer de foi, par conséquent s'exposer à rester malade définitivement.
        En philosophie, M. Antoine estime que la matière est éternelle et qu'Adam a créé le monde. Il n'aime pas les animaux : « Nous devons savoir que l'animal n'existe qu'en apparence, il n'est que l'excrément (sic) de notre imperfection. »
        Telle est la religion qui éblouit présentement des milliers de disciples. Lisez l'« Enseignement », si vous en avez le courage, vous pourrez mesurer jusqu'où descendent des âmes, privées du christianisme.

    Journal de Bruxelles, 7 juillet 1912 (source : Belgicapress)

        La Gazette de Liége se positionne au centre-droit de l’échiquier politique. Elle est proche du Parti catholique puis du Parti social-chrétien (nous renseigne Wikipedia).


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