• Antoine le Guérisseur (Journal de la ville de Saint-Quentin et de l’arrondissement, 29 juin 1912)

    Antoine le Guérisseur (Journal de la ville de Saint-Quentin et de l’arrondissement, 29 juin 1912)

    Antoine le Guérisseur

    Sa désincarnation

        Nous avons parlé, à diverses reprises, d'Antoine-le-Guérisseur, qui avait fondé une religion à Jemeppe, près de Liège.
        De nombreuses personnes du nord de l'arrondissement de Saint-Quentin étaient allées le consulter pour des maux divers et comme quelques-unes s'étaient crues guéries, il en était résulté un exode régulier de pauvres bougres vers Jemeppe.
        Nous avions tâché de mettre en garde ces pèlerins d'un nouveau genre contre cette douce folie.....
        Antoine-le-Guérisseur vient de mourir.
        Nous avons reçu sa curieuse lettre de faire-part sur papier blanc non bordé de noir.
        La voici :

    CULTE ANTOINISTE

                Frère
        Le conseil d'administration du culte antoiniste porte à votre connaissance que le Père vient de se désincarner aujourd'hui mardi matin 25 juin. Avant de quitter son corps, il a tenu à revoir une dernière fois ses adeptes pour leur dire que Mère le remplacera dans sa mission, qu'elle suivra son exemple. Il n'y a donc rien de changé, le Père sera toujours avec nous, Mère montera à la tribune pour les opérations générales les quatre premiers jours de la semaine à dix heures.
        L'enterrement du Père aura lieu dimanche prochain, 30 juin à trois heures.
                                      Le Conseil d'administration.
                Jemeppe, le 25 juin 1912.

        Les idées d'Antoine, fils de petits cultivateurs du pays liégeois, et qui le portaient au mysticisme, au spiritisme et à l'illuminisme même, lui venaient d'un long séjour qu'il fit en Russie comme ouvrier mineur.
        Il avait fait un grand malheur dans sa vie : étant soldat, il avait tué par mégarde un de ses camarades. Cet accident l'avait profondément impressionné.
        Revenu dans son pays, il y avait fait de la représentation d'assurances et avait réalisé une très modeste aisance.
        C'est alors qu'il se découvrit le don de guérir les maladies. Il acquit vite comme guérisseur une grande notoriété. Au début, il avait eu recours à certains procédés classiques, notamment les massages, ensuite à certains gestes rituels. Peu à peu, comme les « Christian Scientists » d'Amérique, il se persuada que la volonté seule suffisait à guérir. Il ne réussit pas cependant à sauver son fils unique, qui mourut à vingt tans. Mais le courage tranquille avec lequel il subit ce coup accrut l'estime dont il jouissait.
        Ayant une fois parlé de lui, il nous faisait envoyer ses productions littéraires et ses périodiques.
        C'était d'une lecture rebutante, mais l'intention était excellente : il parlait toujours d'amour et de progrès, mais dans des termes souvent puérils et plus souvent encore incompréhensibles.
        Puis, il fonda carrément une religion.
        L'Antoinisme, ainsi désignait-on la religion nouvelle, connut de beaux succès. Une dame, qu'Antoine avait guérie, donna 20,000 francs pour construire un temple. Des dons venus de tous les coins de l'Europe permirent de créer et de faire vivre une revue, l'« Auréole de la conscience ». Enfin, il y a deux ans, une pétition couverte de 100.000 signatures sollicita la reconnaissance légale du culte antoiniste.
        Nous répétons que dans le canton de Bohain, l'antoinisme a quelques adeptes. Mais ce culte ne survivra pas à la « désincarnation » de son inventeur.

    Journal de la ville de Saint-Quentin et de l’arrondissement, 29 juin 1912


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