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Antoine le Guérisseur (Le Rappel, 19 février 1909)
CARNET DU LIBRE PENSEUR
On a perdu la dent
de Sainte AppolineIl existe toute une collection de saints qui se sont fait chacun une spécialité dans l’art de guérir les maux dont notre pauvre humanité est affligée ; et, plus sages que les médecins de la terre, leurs confrères, les morticoles du Paradis évitent soigneusement de se faire concurrence. C’est ainsi que saint Roch guérit les maux de jambes, que saint Mayol rend la raison aux fous. Il en est même que les femmes qui ont perdu tout espoir de connaître les joies de la maternité n’invoquent pas en vain, surtout si leur culte est célébré par quelque curé de campagne bien portant et solide au poste.
Plus modestes sont les vertus de sainte Apolline, dont c’était la fête il y a quelques jours. La spécialité de cette sainte est de guérir les maux de dents, et il fut un temps où les bourgeois de Bruxelles en Brabant, qui avaient les molaires douloureuses, ou qui avaient des canines un peu longues contre leurs belles-mères, se rendaient en foule à l’église des Augustins, où l’on conservait pieusement une dent authentique – oh ! combien – de cette sainte ignorée mais bienfaitrice de l’humanité.
Ils s’agenouillaient devant l’autel, raconte notre confrère la Gazette de Bruxelles, ouvraient une large bouche, et le prêtre de service au prix d’une légère offrande – naturellement ! – leur frottait à la file la bienfaisante relique sur les gencives, les perles et les chicots avariés. Ils rentraient chez eux guéris de toute douleur pour le moment et préservés pour l’année entière.
L’église des Augustins a disparu, et l’on se demande, dans les milieux bien pensants, ce qu’est devenue la précieuse dent ! Supposer que les dentistes bruxellois l’aient fait disparaitre, ce serait outrager leur piété... On redemande la dent de sainte Apolline pour le soulagement public, n’en déplaise aux gens dégoûtés.
On la retrouvera certainement un de ces jours, car les gens d’église ne laissent jamais disparaître les reliques dont ils tirent profit. J’ai récemment cité des exemples qui prouvent qu’ils savent au contraire les multiplier outre mesure.
On retrouvera la dent de Sainte Apolline, et tout comme cet Antoine qui assure la guérison aux pèlerins qui le viennent visiter en sa chapelle de Jemmeppes-sur-Meuse, ainsi que le raconte un de nos confrères, elle opèrera des guérisons comme par le passé. La foi, qui engendre la crédulité, a un avantage sur notre scepticisme, c’est de rester toujours jeune et naïve, ce qui a fait dire avec raison du Christ qui s’y connaissait : « Bienheureux les pauvres d’esprit ! » P. G.Le Rappel, 19 février 1909
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