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Antoine le guérisseur (Revue Catholique, 7 février 1936)
Antoine le guérisseur
Qui ne connait, dans le pays de Liège surtout, les antoinistes ? Les hommes portent la robe noire et le chapeau à larges bords ; les femmes ont une jupe noire à plis, le fichu, un bonnet à ruche avec voile. Ils se réunissent dans leurs temples pour y entendre la lecture des livres du Père et des « principes ». Ils ont leur emblème (l’Arbre de la Science de la Vue du Mal), certains rites, comme le drap vert pour les funérailles. Et des estimations – d’ailleurs sujettes à caution – chiffrent à trois cent mille le nombre des adeptes ou sympathisants.
L’antoinisme, qui recrute ses fidèles parmi les ouvriers et les petits bourgeois de la vallée mosane et particulièrement de la zone industrielle, doit ses origines à un ouvrier mineur, Louis Antoine, né en 1746 au village de Mons, près de Liége. Deux séjours en Allemagne, où il travailla comme métallurgiste, huit années passées aux aciéries de Praga, près de Varsovie, donnèrent à l’autodidacte wallon le sens des horizons plus larges. Initié au spiritisme par un menuisier de Jemeppe, Antoine se consacra bientôt à l’évocation des esprits et à la guérison des malades.
A partir de la soixantième année, Antoine prêche, sous le nom de « nouveau spiritualisme », une religion, fondée sur une éthique assez simpliste, et où l’on retrouve la double influence du christianisme (Antoine avait été catholique pratiquant jusqu’en 1888) et du spiritisme.
M. Robert Vivier, le lauréat du Prix Albert Ier et l’un des plus richement doués parmi les écrivains de la génération du feu, vient de consacrer à Antoine le guérisseur un gros livre (Délivrez-nous du mal), qui parait chez Grasset. On n’hésite pas à dire qu’il s’agit là d’une œuvre de tout premier plan. Peut-être faut-il regretter que M. Vivier ait dépensé tant de talent à recréer sous nos yeux un personnage qui n’est pas, quoi que son biographe le pense, à la mesure de cette évocation ? Antoine le guérisseur est comblé par M. Vivier. Mais la beauté du jardin est dans l’œil de celui qui le regarde. Il est impossible, en tout cas, de ne pas admirer l’art subtil et tout en nuances avec lequel le romancier présente le type du Père Antoine. Toute la première partie du livre, qui est un essai d’explication de la psychologie antoiniste, est une merveilleuse réussite. Se souvenant de ses attaches avec le roman populiste (Folle qui s’ennuie). M. Vivier pénètre les ressorts les plus secrets d’une âme simple d’ouvrier qui a lu la bibliothèque de l’instituteur, au pays de Liége.
Quelle que soit l’orthodoxie de cet exposé plus sympathisant qu’objectif, il faut reconnaitre la valeur littéraire du document humain.
Rappelons qu’André Thérive avait dépeint, dans un roman : Sans âme, des milieux d’antoinistes français.Revue Catholique, 7 février 1936
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