• Antoinistes de la rue Jean-de-Beauvais (Le Radical, 15 avril 1913)

    Antoinistes de la rue Jean-de-Beauvais (Le Radical, 15 avril 1913)

        Philosophes et Thaumaturges

    LE GUÉRISSEUR
                                DE
                 « SCIENCE & VIE »

        Chaque jour, presque, l'actualité nous révèle l'effort original du chercheur qui, à côté des sciences reconnues ou des religions régnantes, s'efforce d'édifier un système, parfois curieux, ingénieux toujours.
        L'empire eut le fameux zouave Jacob, récemment encore le Radical avait à raconter les exploits de la guérisseuse d'Asnières, les théories des « Christian Scientists » américains ou des « antoinistes » de la rue Jean-de-Beauvais.
        Mais tous ces systèmes sont imprégnés de tendances théologico-mystiques qui n'aident point à élucider les étrangetés de la méthode.
        Plus curieux est le système de M. de Laborde, parce qu'il ne se réclame, en ses spéculations, que de la volonté humaine et des connaissances positives.
        Comme tout bon Messie, M. de Laborde a fait paraitre son évangile. C'est un gros livre jaune, décoré d'un masque entouré de rayons noirs et qui prétend, tout bonnement, expliquer dans ses plus secrets arcanes la science de la vie humaine.

        Chez le thaumaturge

        Nous sommes allés voir M. de Laborde en sa clinique à miracles, 9, rue Chalgrin.
        – Je suis désolé que vous ayez appris mon nom, nous dit-il. L'œuvre à laquelle j'ai voué ma vie et consacré ma fortune est une œuvre anonyme, impersonnelle. Qu'importe mon nom, pourvu que l'humanité soit sauvée ! Or, je vous le dis, je vous le prouverai : ma méthode guérit toutes les maladies de l'âme et du corps, toutes, vous entendez bien.
        Certes, c'est beaucoup. Ce moderne docteur Faust est vêtu à la moderne, parle d'une voix douce, semble timide, mais, incontestablement, il a la foi. Aussi, comme tous les vrais grands hommes, peut-il se passer de modestie.
        – Ma découverte, poursuit-il, est la plus grande découverte du siècle. Ma science est expérimentale. Une fois admis le principe « tout est parfait », vous pensez bien que guérir mes malades est un jeu !
        – En effet.
        – Je ne vise même pas à l'originalité, puisque je cherche la vérité. J'ai butine chez Platon, Aristote, Sénèque, Jacob Bœhme, Hegel, Kant, Nietzsche ou Bergson, tout ce qui pouvait enrichir mon système.
        – Fayet, le cordonnier-philosophe, nous fit les mêmes encyclopédiques révélations.
        – C'est possible. Mais cet homme-là ne guérit personne. Je considère la philosophie, non comme une science, mais comme un remède qui, en agissant sur le système mental, permet de réparer le système physique. Ma méthode agit sur le malade par une sorte d'autosuggestion volontaire, enthousiaste, consentie.
        – Comme à Lourdes, alors ?
        – Comme à Lourdes, si vous voulez. Mais, vu que je ne m'attache à aucun système religieux, ma méthode, purement rationnelle, peut convenir à tous les esprits. Aussi, je vais fonder une clinique, une université, un journal, et vous pourrez m'envoyer les maladies les plus terribles, les malades les plus condamnés, je vous redresserai tout cela en un clin d'œil.
        Certes, voilà une belle confiance. Quel dommage que le congrès de psychologie expérimentale, après avoir fait évoluer les sourciers, n'ait pas organisé un concours de thaumaturges ! La pauvre et crédule humanité en aurait certes vu de toutes les couleurs.

    Le Radical, 15 avril 1913


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