• Billet doux du Facteur (Le Fraterniste, 5 janvier 1911)

    Billet doux du Facteur (Le Fraterniste, 5 janvier 1911)BILLET DOUX DU FACTEUR

        – Eh ! dis donc Pillault, te voilà éclipsé, hein !
        Tu as vu que le guérisseur de Belgique, M. Antoine, avait fait déposer 160.000 signatures à la Chambre des popols ; çà c'est quelque chose sais-tu ! Tu es rien enfoncé avec tes 22.000 visiteurs. Et puis, tu sais, ce n'est pas fini, car nos bons camarades « disent-ils » et « God Ferdoum», vallons et flamands, n'en resteront pas là, on parle d'en rechercher des autres en France, en Angleterre, en Hollande, en Allemagne et puis tout partout, que M. Antoine a soignés et guéris. Tu parles, mon vieux, si tu es de la Saint-Jean. Et puis, qu'est-ce que c'est que ça encore, c'est une fois rien, sais-tu.
        Jean, il a versé de l'eau à Jésus, et Jésus il a été une fois baptisé, alors, tu sais, étant baptisé il a pu pouvoir s'en aller au Ciel tout droit. C'est pourquoi que ceux qui succèdent à Jésus ils baptisent tout le monde. Peut-être bien qu'en Belgique ça ne se fera pas de la même manière, mais il faudra bien tout de même un système, tu comprends, pour que tous les « antoinistes » ils puissent aller retrouver le père Antoine au Ciel, puisqu'il est leur Dieu.
        M. Antoine, il a cent soixante mille, peut-être cent septante mille adeptes, avec ça sais-tu, il faut qu'il monte planer là-Haut où il sera Dieu, et c'est ainsi, tu m'entends.
        Quand je te disais que tu étais enfoncé, tu vois bien que cela est vrai.
        Tu voudrais peut-être bien toi aussi être Dieu, mais tu es trop petit, jamais tu ne pourras y arriver, et puis tu ne sais pas quoi ni comment il faut faire. Pour cela il te faudrait peut-être cent nonante mille adeptes, ça ce serait déjà quelque chose, mais tu ne les as pas, tu n'as pas non plus de culte, et puis voilà que tu dis qu'il n'en faut pas. Sans culte tu n'arriveras pas, parce que tu n'auras pas des gens intéressés à la prospérité d'une chose que tu n'auras pas établie. Pour être Dieu, mon vieux camarade, il te faut assurer, après ta mort, à boire et à manger et le reste tout à fait à des gens qui mettront des troncs tout partout et puis qui recevront de l'argent pour te faire des statues en papier mâché ou autrement et qui vendront des images, sans cela tu ne seras jamais « un bon » Dieu. En plus, il faudra qu'ils disent que tout ce que tu as fait et dit c'est la Vérité et qu'il ne faut rien y changer ou bien qu'on sera anathème. C'est comme ça un Dieu, il ne peut pas se tromper. Un vrai bon Dieu qui quitte la Terre, ses disciples ne peuvent admettre après Lui de progrès, c'est tout ainsi, car alors il ne serait pas un Dieu, puisqu'il serait comme tout un chacun. Tu comprends, hein ! un homme comme un autre il ne peut pas être Dieu. Alors il faut trouver un moyen, c'est de dire : en dehors de Lui il n'y a rien de fait.
        Ah ! pauvre vieux tu n'es pas encore à la hauteur, tu ne comprends pas ces affaires là aussi bien qu'en Belgique. Là c'est le Nord, et puis tu sais que la lumière aujourd'hui elle vient du Nord. Pourquoi n'es-tu que du Nord de la France ? Tu n'es pas du vrai Nord, sais-tu, tu n'es pas assez élevé, tu as tort.
        Mais tout de même, écoute un peu : Pourquoi puisque la Belgique elle va avoir son Dieu, que toi tu ne veux pas que la France elle ait aussi le sien ? La France elle vaut bien la Belgique je crois ? Pense à ça, il y en a tant qui ne demandent pas mieux que de chausser les chaussures des autres. Puisque tu veux rendre service, rends-en jusqu'au bout ; deviens aussi un Dieu, comme ça tu pourras, après toi, laisser prendre place à des demi-dieux qui pourront conduire les autres sans avoir besoin de travailler et puis ils seront beaux tes sujets, ils deviendront rosés et grassouillets à croquer.
        Ecoute encore une fois, j'ai beau chercher, je vois que tu ne peux pas y arriver. Si seulement tu faisais un miracle ou deux... mais voilà comment arranger ça ? Pourquoi aussi, dis-tu qu'il n'y en a pas, ça n'existe pas ? Tu as tort, de plus en plus tort.
        Allons, dépêche, fais-nous tout de même un petit miracle, la France, voyons, elle ne peut pas rester en arrière. Si tu ne le fais pas, nous, les français, nous sommes flambés, et toi tu es nettoyé.
        Allons, fais-en un petit seulement... Que tu sois le Dieu des français.
        Et puis, Christ, à force d'en boulotter il ne va plus en rester. C'est bien ton tour d'y passer.

    Le Fraterniste, 5 janvier 1911


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