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Bryan Wilson - Les sectes religieuses (1970)
Auteur : Bryan Wilson
Titre : Les sectes religieuses,
Editions : Paris, Hachette, 1970
Evoque l'antoinisme à la page 174.
La Science Chrétienne est qualifiée, par cet auteur, de secte « manipulatrice » (techniques d'accès à la réussite), et l'Antoinisme de secte « thaumaturgique » (interventions miraculeuses de Dieu).
source : recension de Wilson Bryan - Religious Sects. A Sociological Study - Les Sectes religieuses (persee.fr)
Ses catégories sont fondamentalement basées sur le rapport du groupe religieux à la société, sur l'éventuel rejet ou intégration des objectifs et des moyens de cette dernière.
Typologie des sectes : ou comment les sectes réagissent au monde :
1. conversionnistse (conversion intérieure)
2. révolutionnaires (Dieu transformera le monde)
3. introversionnistes (rupture d'avec le monde corrompu)
4. manipulatrices (techniques d'accès à la réussite)
5. thaumaturgiques (interventions miraculeuses de Dieu)
6. réformistes (réforme volontaire de la conscience)
7. utopistes (reconstruction sociale à partir de la religion)
1. Les hommes peuvent soutenir que le monde et ses institutions (y compris le plus souvent la religion orthodoxe) sont mauvais et qu'on ne peut gagner le salut que par un profond changement intérieur. Un homme ne se sauvera qu'en acquérant une nouvelle conception de lui-même, en naissant de nouveau. Cette idée a été notamment adoptée par le protestantisme évangélique. La conversion s'oppose de façon radicale aux procédures et aux rituels établis. Elle doit produire à un moment déterminé et elle doit être une expérience vécue. Après quoi l'individu peut se croire touché par Dieu, inspiré par le Saint-Esprit, racheté par le Sauveur. Il sera bon de se remémorer souvent cette expérience et les émotions qui l'accompagnaient pourront être ravivées lorsque les convertis se réuniront pour louer Dieu et lui rendre grâce. Le converti croit que cette expérience et ces actions de grâce sont essentielles au salut ; que les hommes ne seront sauvés par aucun autre moyen, ni par les prières ou offices des prêtres, ni par les tentatives des réformateurs sociaux ou des révolutionnaires pour améliorer l'état de la société. Toutes ces activités sont vaines. Ce dont les hommes ont besoin est une « expérience du coeur », et ce n'est qu'après avoir eu cette expérience du salut que la société pourra escompter un progrès. On parle ici de réaction de conversion.
Les sectes de conversions qui prétendent changer le coeur de l'homme se vouent au prosélytisme (1), en employant de préférence des techniques de revivalistes. La propagande leur est un moyen d 'occuper leurs membres, de leur proposer des buts positifs, d'entretenir les émotions et d'apporter des résultats concrets comme « preuve de foi ». Ces sectes ont un caractère éminemment émotionnel. Elles insistent sur les sentiments, particulièrement dans leur conception des relation du pécheur avec son Sauveur, Jésus, et elles expriment des émotions intenses au cours de leurs réunions. Le revivalisme renforce ces dispositions. L'on insiste très vivement sur la culpabilité de l'homme, mais moins sur les péchés réellement commis que sur la condition héritée du péché originel. En tant que fondamentalistes ces sectes concentrent leur attention sur les simples vérités de la Bible et sur la « foi ressentie » qu'elles opposent au ritualisme mort des Eglises hiérarchiques, notamment l'Eglise romaine, à l'égard desquelles elles éprouvent une forte antipathie. Bien que les « conversionnistes » s'intéressent beaucoup au recrutement, ce recrutement ne doit pas être identifié à la conversion elle-même. La conversion est une « expérience du coeur » au cours de laquelle l'individu accepte le Christ comme Sauveur. Ces sectes admettent d'habitude qu'il y a des sauvés dans les autres mouvements, en particulier dans des mouvements analogues aux leurs.
[...]
4. Quatrième façon de réagir : l'on cherchera le salut dans le monde mais en utilisant essentiellement des moyens peu connus de ce monde. Le salut, dans cette hypothèses, est beaucoup plus proche ; il s'identifie à des idéaux qui sont aussi généralement ceux du monde mais qui, étant donné la nature de l'homme, sont trompeurs et éphémères. La force physique et les dons intellectuels sont peut-être les plus universels de ces idéaux ; mais certaines cultures y associeront le statut social, le pouvoir, ou le contrôle des ressources économiques. Les buts qu'on se propose sont beaucoup plus terrestres que ce n'est le cas chez certains sectaires, mais on ne regarde pas toujours le salut comme appartenant à l'autre monde. Le caractère religieux de cette réaction tient à la croyance que ce sont des moyens surnaturels, joints à une révélation religieuse qui permettront le mieux de parvenir à ces fins. C'est grâce à l'emploi de ces moyens surnaturels, ou de techniques, et souvent ésotériques ou occultes, que le monde sera modifié dans le bon sens. Ainsi les hommes seront-ils sauvés. On parle ici de réaction de manoeuvre, ou de réaction manipulatrice.
Les sectes « manipulatrices » ont fleuri à différentes époques de l'histoire du christianisme ; elles prétendaient détenir seules un savoir spécial et parfois secret qui leur assurerait le salut. Elles soutiennent que leur enseignement est neuf, masqué ou secret, mais ces principes sont universels et peuvent être appris par n'importe qui. Leur divinité n'est pas un rédempteur, c'est un grand pouvoir abstrait que les hommes peuvent apprendre à utiliser à leur avantage en ce monde. Les membres de ces sectes ne se retirent pas du monde, il y demeurent, ils en jouissent et tirent tout le bénéfice possible de l'usage de leurs connaissances spéciales. Il réinterprètent les Ecritures et s'écartent progressivement de leur sens littéral pour mettre l'accent sur les méthodes de guérison et sur la domination du mal par l'intelligence divine. Les sectes telles que la Science chrétienne et ses dérivés attirent surtout un public plus ou moins sophistiqué. Elles fleurissent dans des milieux urbains, habituellement chez des membres de la classes moyennes, à qui le style de la pensée abstraite n'est pas étranger et que l'éducation et le progrès impressionnent. Les réunions religieuses de ces sectes sont sans grande émotion et, de fait, les adhérents ont peu d'occasions de s'assembler, sauf pour rendre grâce, se faire instruire, passer des examens et se féliciter de leur succès au sein de « la vérité ». L'adoration n'est qu'accessoire ; le rituel et la Bible sont regardés comme symboliques, bien qu'ils assurent une liaison continue avec le christianisme traditionnel (2), lequel passe pour être moins mauvais qu'aveugle, insuffisant et arriéré.
5. La cinquième sorte de réaction implique une notion étroitement particulière du salut. Ce que désire l'individu est d'être soulagé de ses maux présents, physiques ou mentaux ; le salut résultera de l'intervention quasi magique d'agents surnaturels qui soustrairont l'homme aux lois normales de la causalité. Il n'est pas question ici de sauver le monde mais de réduire les tensions ou de résoudre des difficultés dans l'immédiat et d'y substituer un vague sentiment de béatitude. Cette réaction diffère de la quatrième en raison de la nature très particulière de la notion du salut et de l'absence de toute idée claire sur les avantages que l'on peut attendre. L'action du salut est personnelle et locale ; on ne peut disposer partout des moyens de se l'assurer ni le définir en termes universels. Cette réaction revient en fait à exiger des miracles et non pas à croire que l'on découvrira des principes qui assureront le salut des initiés. On peut la qualifier de thaumaturgique.
Les sectes « thaumaturgiques » cultivent la croyance aux oracles et aux miracles qui s'est atrophiée dans le christianisme. L'invocation des esprits pour échapper aux maux immédiats est une pratique commune dans toutes les autres cultures, bien que les religions les plus pures l'aient rejetée. Jésus était un thaumaturge, et le mythe chrétien attribue des miracles aux Apôtres et aux saints quoique l'Eglise romaine ait tenté plus tard d'institutionaliser cette thaumaturgie. Le protestantisme a eu beau répudier les pratiques magiques, les mouvements qui professaient la guérison par la foi ont persisté à en demander, avant que le spiritisme moderne donne un nouvel élan à cette quête. Les sectes spirites n'ont généralement aucune doctrine eschatologique cohérente, mais elles insistent sur la vie dans l'au-delà et sur les communications avec les morts. A mesure qu'elles évoluent, les sectes spirites plus avancées s'approprient des idées métaphysiques ressemblant à celles qu'on professe dans les sectes « manipulatrices » ; mais les spirites recherchent un salut beaucoup plus personnel, et comptent sur des médiums et des esprits particuliers ; ces besoins particuliers contrastent de la façon la plus vive avec les principes généraux des « manipulateurs ». Il importe moins aux « thaumaturges » de pratiquer la morale que de se laisser guider par les esprits. De même que les sectes protestantes extrémistes abandonnent les rites en faveur des mots (la Bible, les sermons, les hymnes, les « langues », et les « tracts »), les spirites abandonnent les mots au profit des « communications », des coups frappés, des impulsions, transfiguration et manifestations. Ce qui est communiqué n'est pas un récit ni une objurgation, mais un message rassurant venu d'une source surnaturelle. La relation ne s'établit pas du Sauveur au pécheur par l'intermédiaire des prédicants, comme les « conversionnistes », mais de l'esprit au client, présentés l'un à l'autre par un médium.
[...]
7. En dernier lieu, on peut rechercher le salut sans quitter le monde ni le bouleverser mais en tentant de le reconstruire entièrement sur un fondement de principes religieux. Le monde est mauvais parce que les hommes l'on fait tel. L'on se sauvera qu'en revenant aux principes de base promitivement assignés aux hommes par le Créateur. L'on pourra tenir ces principes de la révélation ou les retrouver dans les Ecritures, et c'est sur cette base que le monde pourrait redevenir un endroit où les hommes vivraient en paix. Les moyens de reconstruire la cosiété pourraient être, en eux-mêmes, rationnels : mais le choix des fins (et peut-être même à certains égards le choix des moyens) résulterait d'un contact avec le surnaturel. Nous qualifierons cette dernière réaction d'utopique.
Les sectes « utopiques » croient à la possibilité du salut au sein de la société ; mais à cet effet la société doit être refaite entièrement, moins par un acte de Dieu que par des hommes travaillant selon des principes divins. Ces sectes s'écartent de la société non pour cultiver la sainteté mais pour s'organiser socialement en vue du salut. Leur conception de la moralité est fortement conditionnée par les besoins des membres de la nouvelle société qu'elles essaient de former, souvent en fondant des colonies dans des contrées désertes ou incultes. Elles se distinguent des utopistes séculiers en ce qu'elles recherchent une foi religieuse commune, habituellement basée sur la Bible, et parfois, plus explicitement, sur l'Eglise de Jérusalem que décrivent les Actes des Apôtres. Elles propagent volontiers leurs idées, mais elles n'accueillent pas de candidats nouveaux sans les examiner sérieusement ; et en pratique elles se referment souvent un peu plus que leur conception initiale ne semblait le demander. Les communautés des sectes « utopiques » se distinguent de celles que fondent parfois les « introvensionnistes » en ce qu'elles se vouent en principe à redécouvrir le mode de vie universel qui a été corrompu par la société. Les communautés « introversionnistes », de leur côté, n'obéissent souvent qu'à un mécanisme de défense visant à sauvegarder la forme de poété qui leur est propre.
(1) Dans le cas de l'antoinisme, on parle de « prosélytisme de proposition ».
(2) C'est la raison pour laquelle Anne-Cécile Bégot classe cette secte parmi les dénominations, le groupe tendrait « vers un type d’organisation religieuse intermédiaire entre la secte et l’Église » (article wikipedia Science chrétienne).
Prof. André Gounelle - Les sectes, Approche sociologique et typologie, caractéristiques et mécanismes des dérives sectaires
source : http://www.marcelin.ch/doc/gymnase/aumonerie/sectes.pdf
A mon sens, l'antoinisme n'est plus tellement une secte thaumaturgique (elle le fut du vivant du Père), mais oscillent entre les sectes conversionnistes et les sectes utopistes.
A la différence des sectes conversionnistes, l'antoinisme a une conception du péché originel différent de celui de la Bible, puisque le Père le réinterprète comme l'imagination de la matière. Et bien sûr, ce n'est pas tant le Christ qui apparaît comme Sauveur, mais soit le Père, soit la propre Conscience de l'adepte, ou n'importe quelle autre divinité, ou même rien.
A la différence des sectes utopistes, l'antoinisme n'a pas de repli sur soi pour former une société nouvelle, mais espère arriver à réformer la société en vue d'atteindre l'Unité de l'Ensemble.
On voit donc la difficulté de classifier les sectes. Régis Dericquebourg décrivaient l'antoinisme, selon la typologie de Weber, de 'cult' (parfois traduit par confession, comme le fait le Père Chéry dans son Offensive des sectes, mais ce dernier classé l'antoinisme comme secte guérisseuse).
Tags : religion, Antoinisme
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