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Chez les spirites Grenoblois (Dauphiné libéré, 4 septembre 1946)
Mme Hélène Dort… Maître Gallioz semble protéger le médium
des influences terrestres et le disciple est prêt à recueillir les
paroles de l’au-delà.CHEZ LES SPIRITES GRENOBLOIS
JULES MICHELET
vient faire tous les jours, aux
fidèles bouleversés, son cours
d'histoire de France.C'est près de la place Notre-Dame, 3, rue Frédéric-Taulier, dans l'une de ces confortables demeures aux vastes appartements Louis philippards que se donnent, à Grenoble, rendez-vous les Esprits.
Nous avons passé, hier, un excellent cinq-à-sept avec eux.
Rien n'était plus facile un petit coup de sonnette à la porte où est discrètement marqué : « Société d'Etudes Psychiques », et M. et Mme Gallioz, les hôtes qui entretiennent de si cordiales relations avec les morts, nous firent signe de prendre place.
Il nous sembla même – c'est vraiment étonnant !... – qu'ils furent enchantés de ma visite et de celle de mon complice, le reporter photographe Albert Ramus.
Après avoir nourri son bon nez d'une pincée de tabac cueillie prestement dans une tabatière d'une autre ère, maître Gallioz – qui est aussi, je crois, prêtre des Antoinistes – nous mit en confiance.
– Ah ! cher Monsieur, il se passe ici des choses merveilleuses qui nous bouleversent... Asseyez-vous donc ! Vous allez assister, sans façon, à nos expériences...
– Comme cela ! Au grand jour, avec le bruit du tram et de la radio du voisin, et devant tout le monde ?
– Pourquoi pas !... Nous ne cherchons à impressionner personne. Tout se passe ici sur le ton familier et nos chers morts nous parlent simplement tandis que nous recevons leurs messages avec une allégresse pleine de lumière et de reconnaissance...MADAME HELENE,
ETES-VOUS PRETE ?...
Parmi l'assistance – assez restreinte aujourd'hui – une femme de lettres, un couple dont le mari est hypnotiseur et sa femme, extrêmement belle, un sujet d'élite pour spirites ; un docteur en pharmacie, une jeune artiste qui me paraît assez impressionnée, un professeur, une femme de ménage pâle comme un ectoplasme, deux ou trois adeptes incolores aux yeux brillants, et Mme Gallioz qui, prosaïquement, dans la cuisine voisine, moud le café et vient voir de temps, en temps où, « ça en est... ».
– Madame Hélène, êtes-vous prête ?
Mme Hélène est le médium « maison ». Son visage est gracieux et semble incapable de la moindre imposture ; le battement des longs cils sur le velours de ses yeux n'est pas sans charme, disons... fluidique.
Chut !... Le beaux yeux se ferment. Mme Hélène se concentre, les mains n'ont plus qu'un léger tressaillement, des lèvres entr'ouvertes glisse un tiède halètement ; chut !... le sujet dort.
Ah !... je sais bien que tous les sceptiques se mettent à sourire.
Eh bien non !... Ne souriez pas : écoutez !ESPRIT, ES-TU LA ?
M. Gallioz, manifestement très ému, donne subrepticement double ration à sa narine battant de l'aile, puis, gravement, questionne :
– Etes-vous là, mon bon ami ?...
– Oui, cher enfant.
– Qui êtes-vous, aujourd'hui ?
– Mais votre protecteur, comme toujours, votre Jules !
A ce moment, l'assistance tressaille d'aise et sourit d'un air entendu :
– C'est lui !...
C'est Michelet l'historien, le sévère censeur des faits et gestes nationaux des siècles derniers ; Michelet lui-même qui parle d'une grosse voix en roulant les r et se fâche tout rouge lorsque les questionneurs, maltraitent l'Histoire.
Et, cette grosse voix a l'air de sortir de la gorge d'un phonographe à pavillon alors qu'elle s'exhale de la bouche sans vie de la prêtresse, Mme Hélène endormie.
Très impressionnant !...
M. Gallioz et ses disciples s'épongent.
– Hein ? Vous avez entendu ? Vous avez reconnu, « sa » voix ?
J'avoue, pour ma part, n'avoir jamais eu de relations avec l'excellent M. Michelet, je n'ai pas l'âge, Dieu merci, de Mlle Mistinguett. Mais je dois dire que je me le représente assez parrrrlant comme ça !CHER ONCLE !...
La séance n'est pas finie. J'apprends, tour à tour, que si Mme Hélène est un médium parlant, il y a encore les médiums auditifs et les médiums qui… sous la puissance de l'incarnation, transmettent, par l'écriture, de bouleversants, messages et rétablissent, entre les morts et les vivants toutes les relations rompues.
Ainsi, telle jeune fille de la Société des Spirites Grenoblois, dont la culture intellectuelle est en friche, vous pond à toute vitesse dans les transes de son sommeil, des vers et des vers que pourraient signer sans rougir de leur inspiration, MM., Lamartine ou Musset.
Je n'ai pas assisté à cette vertigineuse éclosion de rimes. C'est dommage.
Mais j'ai eu, par contre, d'excellentes nouvelles de mon vieil oncle qui me déshérita jadis en défuntant.
Il va bien, je vous remercie.
Et je suis bien aise d'avoir appris qu'il se promène, en tenue d'ectoplasme, du côté de la place Notre-Dame, lui qui ne quittait jamais son gilet de flanelle et qui détestait ce quartier !R-L. LACHAT.
Dauphiné libéré, 4 septembre 1946
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