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Christian Rioux (détaché du journal québécois Le Devoir en France) - Vivre-ensemble
[...] Pourquoi tant d'émoi autour de deux mots unis par un trait d'union ? D'abord parce que ce vivre-ensemble, ce n'est pas du français mais de l'allemand, aurait dit mon vieux maître. Les Allemands, qui ne sont pas tous philosophes, ont néanmoins tous un gros faible pour les mots composés, contrairement aux Français.
Ensuite parce que ce fameux vivre-ensemble ne se caractérise pas tant par ce qu'il veut dire que par ce qu'il semble refuser de nommer. Il y a des mots comme ça qui ont été inventés non pas pour dire les choses mais pour ne pas les dire. La peur des mots est chose courante à notre époque. Pour la calmer, il existe des mots-valises qui évitent de prononcer ceux-là mêmes qui ont un sens.
[...] Les mots ne sont pas neutres. Avec le vivre-ensemble, il s'agirait implicitement de substituer à l'épaisseur de l'identité une sorte de règlement de copropriété. Personne ne le dit, mais sous des apparences d'ouverture, ce vivre-ensemble n'est peut-être au fond qu'un vivre-côte-à-côte. Au pacte de la langue et de la culture communes, faudrait-il préférer un simple contrat commercial par lequel les citoyens promettraient de ne pas se taper dessus ? Au fond, le « vivre ensemble » n'est peut-être pour la société dite multiculturelle que ce que le néolibéralisme est au marché : une façon de se côtoyer sans jamais se toucher.
Comme la plupart des inventions du nouveau dictionnaire bureaucratique, le vivre-ensemble respire évidemment le moralisme. Avec l'identité, on partageait une langue et une culture, mais on n'était pas obligé de s'aimer. On pouvait même s'affronter. Les partisans d'une nation fondée sur l'identité et la langue faisaient le pari qu'en ayant des mythes communs, les citoyens finiraient par faire preuve de générosité entre eux. On ne sait pas trop ce que les partisans du vivre-ensemble proposent de faire ensemble, mais ils ont érigé la tolérance en absolu et ordonnent à chacun d'aimer son voisin.
« Les mots sont l'ADN de la pensée », écrivait Jean Paré dans Le Code des tics (Boréal). « Ceux que l'on injecte agissent au niveau des synapses du client, du lecteur, de l'électeur, comme des virus pour l'induire à penser de lui-même ce que l'on souhaite qu'il pense. » Il ne croyait pas si bien dire.
source : http://www.vigile.net/Vivre-ensemble,10710
Tags : solidarité
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