• Claire Lejeune - Au commencement

    Au commencement était la nuit et la nuit s'aima tant qu'elle enfanta le soleil.

    Alors le soleil éclaira le visage de la nuit et la nuit se connut. Se fut le premier jour.

    L'ayant conçu au plus secret de moi, dans ce creuset du coeur où se créent les dieux, j'ai bien jusqu'à son terme porté mon soleil.

    Je l'ai nourri de ma ferveur, il buvait la couleur de mon sang, me dévorait et croissait en cercles sans cesse agrandis.

    Il me tuait, me trahissait, allumait à mon insu de grands feux éblouis au large de mes yeux, fécondait ces mots-là que je voulais stériles, consumait ceux qui me restaient fidèles.

    Quand vint le grand midi, toute ombre disparue, toute source tarie, toute herbe noircie, il n'y eut plus à boire que mon souffle.

    Se brisa le dernier sceau : mon soleil ivre fit voler mon âme en éclats ; un instant étourdi contempla l'infini de sa proie : l'univers tout entier qu'il faudrait embraser !

    L'ombre revenue déjà pansait les plaies aux versants du coeur à vif, ouvert comme un nouveau cratère et faisait s'y lever la promesse de moissons fabuleuses.

    Claire Lejeune, Mémoire de Rien, La gange et le feu,
    Editions Labor - Espace Nord, p.35


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