• Crime de fanatiques (La Dépêche de Brest, 22 juillet 1912)

    Crime de fanatiques (La Dépêche de Brest, 22 juillet 1912)CRIME DE FANATIQUES

    Ils ont laissé mourir sans soins
                            leurs deux enfants malades

                                                                           Paris, 21 juillet.
        Deux bébés qui meurent en l'espace d'un mois victimes du fanatisme de leurs patents, telle est l'affaire douloureuse et déconcertante dont le parquet de la Seine vient d'être saisi. Voici les circonstances dans lesquelles elle s'est présentée :
        Hier, après-midi, vers quatre heures, M. Métin, commissaire de police du quartier de la Sorbonne, était informé que le médecin de l'état civil avait refusé de délivrer le permis d'inhumer pour une fillette de quatre mois, Marie-Augustine Leclercq, morte le matin, au domicile de ses parents, 4, rue de la Parcheminerie. Le magistrat se rendit à l'adresse indiquée. C'était une baraque en planches faisant partie d'un groupe de hangars et de resserres édifiés sur l'emplacement des immeubles démolis, il y a deux ans, aux abords de l'église Saint-Séverin, lors de l'élargissement de la rue Saint-Jacques. Ce taudis servait d'abri et d'atelier, depuis le 8 juillet, à un nommée Jules Leclercq, âgé de 42 ans, à sa maîtresse, Mathilde Santel, âgée de 37 ans, et à leur enfant, Augustine Leclercq. Le ménage vivait chichement de la vente de sacs d'emballage que l'homme allait chercher dans les poubelles, le matin, ou qu'il achetait d'occasion à vil prix et que la femme raccommodait dans la baraque tant bien que mal.
        L'on se figure ce que pouvait être ce logis de misère.
        M. Mélin y trouva ses hôtes agenouillés tous deux au pied d'un grabat sur lequel reposait le cadavre de la petite Augustine. Le corps, d'une saleté repoussante, était violacé et sanguinolent. Un médecin, qui accompagnait le magistrat, diagnostiqua immédiatement que l'enfant avait succombé faute de soins. Les parents, questionnés, reconnurent sans difficultés du reste qu'ils n'avaient fait appel à aucun médecin, ni usé d'aucun médicament pour soigner leur fillette, malade depuis huit jours environ. Et comme M. Métin les interrogeait sur les raisons de cette criminelle insouciance, ils firent cette réponse inattendue :
        – Fidèles adeptes du père Antoine le Guérisseur, nous pensons que, seul, Dieu peut sauver et guérir, s'il le veut. Le Très-Haut a préféré rappeler auprès de lui notre enfant bien-aimée... Que sa volonté soit faite....
        Les malheureux appartenaient depuis six mois à cette nouvelle religion qu'a fondée en Belgique, il y a quelque temps déjà, celui que ses disciples ont surnommé Antoine le Guérisseur. Et l'on sait que les fidèles de cette religion nouvelle croient qu'il suffit d'invoquer la bonté de Dieu pour obtenir la guérison de leurs maladies.
        L'explication fournie par Leclercq et sa maîtresse ne devait pas cependant satisfaire le commissaire de police, qui les fit aussitôt arrêter. Quant au corps de l'infortunée fillette, il fut envoyé à la Morgue aux fins d'autopsie.
        L'enquête ouverte révéla qu'un autre enfant avait été victime de la superstition de Leclercq et de sa compagne. C'était un garçonnet, mort au début du mois de juin, à l'âge de deux ans et demi. Leclercq n'en était pas le père. Et ses voisins – il habitait alors 8, rue Saint-Julien-le-Pauvre – avaient murmuré que les mauvais traitements, cette fois, et le manque de soins n'étaient pas étrangers au décès de l'enfant. Mais ces premières accusations n'avaient pas été prises en considération.
        Jules Leclercq et Mathilde Santel vivaient ensemble depuis près de deux ans. Très connus pour leurs excentricités et leurs propos incohérents aux abords de la place Maubert, ils passaient pour un couple de malades, d'alcooliques et d'hallucinés. Ils ont été envoyés au dépôt.

    La Dépêche de Brest, 22 juillet 1912


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