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Culte Antoiniste (Charivari, Avril-Juin 1976, p.46)
UNE SECTE DE GUERISSEURS : LES ANTOINISTES
Fondé en 1906 par un ouvrier liégeois qui se faisait appeler « Le Père Antoine » ou encore « le guérisseur », le « Nouveau Spiritualisme » rassemble aujourd'hui cinq à six mille fidèles disséminés dans toute la France et, surtout, dans la partie wallonne de la Belgique. Il s'agit d'une dissidence « spirite » du catholicisme romain.
Les « antoinistes » (cette appellation prend de plus en plus le pas sur celle de « néo-spiritualistes ») se réunissent tous les dimanches matin, affublés d'une longue robe noire, dans une cinquantaine de temples. Le décor de ceux-ci est à la fois austère et macabre : une grande salle meublée de bancs de bois et flanquée d'une sorte de chaire surélevée. L'un des quatre murs est tendu de noir. On peut y lire, peinte en grandes lettres blanches, l'inscription suivante : « L'auréole de la conscience : un seul remède peut guérir l'humanité ; LA FOI : c'est de la foi que naît l'amour : l'amour qui nous montre dans nos ennemis Dieu lui-même ; ne pas aimer ses ennemis, c'est ne pas aimer Dieu ; car c'est l'amour que nous avons pour nos ennemis qui nous rend dignes de la servir ; c'est le seul amour qui nous fait vraiment aimer, parce qu'il est pur et de vérité. » Ce texte, exemplaire du style antoiniste, se répète dans toutes les publications de la secte, dont le siège central est fixé à Jemappes-sur-Meuse, dans la banlieue liégeoise. Accroche aussi le regard, derrière la chaire, un arbre stylisé : l'arbre de la science de la vue du mal. Il s'agit de l'emblème des antoinistes. Parfois, l'on trouve encore la photo du Père Antoine : une très belle tête d'illuminé, longs cheveux, longue barbe, yeux extasiés, dont l'expression évoque les photos de Raspoutine jeune. Mais là s'arrête le rapprochement. Autant Raspoutine était débauché et adorait la fréquentation des grands de ce monde, autant le Père Antoine vivait sobrement et se complaisait parmi les petites gens.
Né à Mons-Crotteux, faubourg industriel de Liège, en 1846, le futur Père Antoine était le cadet d'une famille fort modeste de onze enfants. Dès l'âge de douze ans, il s'en alla travailler à la mine en compagnie de son père et de quelques-uns de ses frères, tous houilleurs.
Vers sa vingtième année, dégoûté de la fosse, il décida de changer de métier et devint ouvrier métallurgiste. En 1870, il s'expatria et partit pour l'Allemagne où il travailla pendant cinq ans. Puis, il poussa un peu plus loin et passa à nouveau cinq nouvelles années en Pologne russe. Quand il rentra au Pays natal, il était toujours fidèle à la foi catholique de son enfance. Il manifestait même une tendance à être plus catholique que le pape, tant il affectionnait les jeûnes et les privations de toutes sortes.
A l'âge de quarante-deux ans, cet homme pieux et même cagot rejoignait brusquement un groupe spirite. Bientôt las de faire tourner les tables pour le plaisir des seuls esprits, il franchit un pas de plus dans l'hérésie et se mit à prêcher dans toute la région liégeoise des « révélations » qu'il disait tenir de Dieu lui-même. Sa bonté, sa douceur, et surtout les « guérisons miraculeuses » qu'il multipliait gratuitement, lui conférèrent une grande popularité auprès d'un prolétariat misérable et crédule. En outre, comme le « néo-spiritualisme » entamait sérieusement les positions catholiques en Wallonie, les dignitaires francs-maçons et les politiciens socialistes favorisèrent l'implantation de la secte. Et les premiers « temples » furent construits grâce à des subsides votés par les conseils provinciaux (généraux) à majorité socialiste.
Quelques années plus tard, l'antoinisme se répandit dans le nord de la France et conquit bientôt de petits mais solides bastions dans tout l'hexagone.
Tout le culte antoiniste se résume à la sempiternelle lecture des « révélations » et de l'enseignement du Père Antoine. Celui-ci (qui pouvait à peine lire et écrire) s'exprimait en un langage à la fois pompeux et hermétique.
Seules les funérailles des adeptes revêtent un certain lustre. Pour son dernier voyage, l'antoiniste décédé est précédé d'un jeune arbre fraîchement coupé, et suivi par tous les « frères » et toutes les « sœurs » revêtus de leur longue robe noire et coiffés de grands chapeaux noirs rappelant ces sombreros bâtards qu'affectionnaient les socialistes du début du siècle. La lecture des œuvres du Père Antoine accompagne la descente de la bière dans la fosse.
Les antoinistes manifestent, à l'égard de ces œuvres, une fanatique et touchante confiance. Leur culte ne possède ni prêtres ni évêques. Les adeptes qui le désirent, ou qui en ont le temps ou les moyens, se chargent bénévolement de servir de haut-parleur à la voix de leur maître. Encore que généralement moralisateurs et même pudibonds, les antoinistes cèdent parfois à un certain laxisme moral qui trouve sa justification dans ces « fluides » dans « lesquels l'homme vit comme un poisson dans l'eau ». Car, mal débarrassé des miasmes du spiritisme, le Père Antoine professait que « tous nos vices et caprices dépendent des fluides qui forment l'atmosphère qui nous entoure ». Ce que d'aucuns « chers maîtres » appellent « des impulsions irrésistibles » !
L'enseignement antoiniste tombe aussi dans un certain masochisme. Il recommande de « remercier ses ennemis », car l'épreuve qu'ils apportent constitue « un progrès » et « c'est la souffrance seule qui peut nous épurer ».
Fanatiques mais peu prosélytes, les antoinistes vivent entre eux, en secte fermée. Ils pratiquent une solidarité totale et se distinguent par leur discrétion, sauf quand certains d'entre eux, s'obstinant à ne pas appeler le médecin en cas de maladie grave d'un des leurs, provoquent l'indignation des voisins et l'intervention de la justice. Le Père Antoine ayant recommandé le strict respect des lois naturelles, les antoinistes se méfient en effet des médicaments chimiques et leur préfèrent les décoctions de plantes. Et si, par malheur, leur médication échoue, ils accueillent la perte de l'être cher, et la souffrance qui en découle, comme une nouvelle occasion de se purifier.Charivari, numéro sur les Sectes et sociétés secrètes en France aujourd’hui, Avril-Juin 1976, p.46
Écrit à charge d’un « journaliste » anonyme (lui aime qui aime si bien les guillemets, il me saura grès de les utiliser ici à mon compte) qui n’a certainement jamais franchi la porte d’un temple, ni donc parlé à aucun frère ou aucune sœur, ni ne s’est même donné la peine de lire les textes, que cela soit ceux du Père ou de ceux qui ont étudié la « secte »…
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