• De Jemeppe à Lourdes (La Libre Belgique, 26 novembre 1934)(Belgicapress)

    De Jemeppe à Lourdes (La Libre Belgique, 26 novembre 1934)(Belgicapress)DE JEMEPPE A LOURDES

        Sur mon bureau deux livres voisinent. L'un s'intitule : « Antoine le Guérisseur et l'antoinisme, d'après des documents inédits », par Pierre Debouxhtay (lib. Fernand Gothier, à Liége) : c'est l'étude très fouillée d'un phénomène religieux qui, dans la Belgique d'il y a trente ans, fit grand bruit, et dont vingt-sept temples en Belgique, quinze en France, attestent le rayonnement. L'autre a pour titre : « La physionomie d'une voyante » ; il est signé Jean des Rochères (éditions du Foyer, à Paris). La « voyante », c'est sainte Bernadette : Jean des Rochères dessine avec amour la mystique figure ; et tout en même temps sa dialectique très précise déduit, du portrait même qu'il nous donne, certaines conséquences apologétiques. Si vous songer à ce que fut Bernadette, si vous vous rappelez la ténacité avec laquelle les partisans de l'antoinisme fermèrent leurs oreilles aux condamnations prononcées par l'Eglise, et si vous réfléchissez que l'un et l'autre thème nous mettent en contact avec la notion de miracle, vous constaterez sans doute que le hasard qui sous mes yeux les juxtapose ne laissent pas d'être suggestif. Une lumière fit jaillir du rapprochement de ces deux livres, comme de certaines suggestions d'idées.
        En fait, rien n'est plus intéressant comme confrontation entre le chapitre de M. Pierre Debouxhtay sur les « guérisons et autres faits paranormaux » attestés par les historiens de l’antoinisme, et le chapitre de M. Jean des Rochères, qui a pour titre : La valeur apologétique des miracles de Lourdes ».
        Deux religions sont en présence : la chrétienne et l'antoiniste. Deux catégories de guérisons « curieuses et instantanées » – pour reprendre les mots de la revue spirite de Liége : « Messager » – se présentent à notre étude. La religion antoiniste, d'après M. Debouxhtay, considéra longtemps que le recours au contrôle de la science « constituerait un obstacle à la foi », – à cette foi qui chez les patients est nécessaire pour conquérir la guérison. Un jour pourtant, nous dit-il, « les antoinistes se décidèrent à faire constater certaines guérisons « miraculeuses ». C'était en 1910, lorsqu'ils s'efforcèrent d'obtenir pour leur culte la reconnaissance légale. A la requête adressée au Ministre, les adeptes joignirent des certificats, dont quelques-uns contrôlés par les médecins eux-mêmes. En quoi consistait ce contrôle des médecins ? Il nous est malheureusement impossible de le dire, ces certificats n'ayant pas été conservés dans les archives du ministère. L'abbé Bourguet, curé de Saint-Antoine, à Liége, dont le presbytère était voisin du temple antoiniste de Hors-Château, pouvait d'autre part écrire, dans la brochure qu'il publiait vers la fin de la Grande Guerre : « On ne saurait trop le dire : il n'existe aucun cas de guérison bien caractérisée d'une maladie organique à l'actif de Louis Antoine » ; et M. Debouxhtay, tout en ajoutant très loyalement la liste des guérisons, telle qu'elle fut publiée dans les diverses livraisons du périodique antoiniste l'« Unitif » entre 1911 et 1914, croit devoir mettre en relief cette remarque de M. l'abbé Bourguet. Se tournant vers Lourdes, M. Debouxhtay aperçoit à côté de la Grotte, « un bureau de constatation où des savants compétents peuvent soumettre à un examen minutieux les malades, avant et après la guérison » ; il observe qu'à Jemeppe, où le Père Antoine exerçait son office de guérisseur, un tel bureau n'existait pas.
        Il y a sur le bureau de Lourdes dans le livre de M. Jean des Rochères, quelques lignes bien significatives de M le chanoine Bertrin : « Le Bureau des constatations devient, par prudence, de plus en plus difficile. C'est de plus en plus, par exemple, qu'il écarte les guérisons des maladies nerveuses, l'origine de ces maladies pouvant prêter au doute... Evidemment ce n'est pas le nombre des maladies nerveuses qui a fléchi, ni apparemment celui des guérisons dont elles sont l'objet. C'est la manière d'enregistrer ces guérisons suspectes qui est devenue de plus en plus rigoureuse et sagement défiante. Et déjà, il y a plus de quarante ans, le docteur Boissarie se montrait, à Lourdes, spécialement préoccupé « de ne pas assimiler aux miracles certaines guérisons, surprenantes peut-être, mais que les médecins voient partout se réaliser dans les hôpitaux ou ailleurs, sans l'intervention d'aucune cause surnaturelle. »
        M. Jean des Rochères, commentant ces paroles, déclare avec insistance que « l'atmosphère de certains pèlerinages dans telles conditions données, peut être, pour des névroses sans lésion organique, le choc bienfaisant, capable de provoquer l'amélioration de l'état morbide ou même sa totale disparition », et qu'on ne peut, en pareils cas, parler de miracles. Et cette réserve initiale accroît l'autorité des pages où M. Jean des Rochères souligne la portée surnaturelle des guérisons des maladies organiques, et des guérisons des tumeurs ou des plaies, et la valeur des méthodes par lesquelles à Lourdes ces miracles sont constatés. Comment lui refuserait-on, même, le droit d'affirmer que de tels miracles, obtenus plus de soixante-dix ans durant, à la suite des visions de Bernadette, suffiraient à prouver la sincérité de la sainte et la réalité de ses visions ?
        Celle qui, dans sa prière à Jésus, s'intitulait « la pauvre mendiante » fut la confidente et l'auxiliaire terrestre de cette initiative d'au delà qui, d'année en année, dans la piscine et dans le triomphal cortège qui porte l'Hostie, multiplie les grâces merveilleuses : la gratitude chrétienne va vers Bernadette, après s'être agenouillée devant celle dont elle fut la messagère. Mais l'Eglise veille rigoureusement au contrôle scientifique des faits de Lourdes : elle ne redoute pas, elle, comme l'antoinisme a paru le redouter, que l'intervention vigilante de la science médicale soit un obstacle aux guérisons ; elle lui fait appel, au contraire, pour donner à la gratitude des fidèles une robuste assise et lui imprimer un nouvel élan.
                                            Georges GOYAU,
                                       de l'Académie Française.

    La Libre Belgique, 26 novembre 1934 (source : Belgicapress)


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