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Délivrez-nous du mal (Le Petit Marseillais, 8 avril 1936)
« DELIVREZ-NOUS DU MAL »
de Robert Vivier (Grasset)C'est un roman bien curieux que vient de publier M. Robert Vivier. C'est, en effet, le roman de Louis Antoine, ouvrier mineur des environs de Liége qui, à la fin d'une vie simple et pieuse, fut amené à l'occultisme, l'abandonna, se découvrit des dons de guérisseur, voua son temps et ses forces aux malades. Le spectacle continuel de la souffrance physique l'amena à remettre tout l'univers en question. Avec une simplicité et une ingéniosité inébranlables, il repensa le monde à sa façon. Cet homme presque illettré, après avoir créé une morale, écrivit des livres de métaphysique. Il est mort en 1912 et, aujourd'hui, l'antoinisme a son rite, ses prêtres et, dans de nombreuses villes de France et de Belgique, ses temples.
M. Robert Vivier, qui est Belge, connaît parfaitement les paysages qu'il décrit, la vie et l'âme des ouvriers de ce pays, aussi les voit-on véritablement vivre et il s'agit bien d'un roman, non point d'une biographie ou d'une histoire romancée. On ne trouvera pas dans Délivrez-nous du mal un exposé historique des faits, encore moins des commentaires, l'auteur s'est appliqué à comprendre et à faire revivre l'aventure d'Antoine, sa vocation étonnante simplement accueillie par lui-même et par les autres. Mais avec un grand souci d'honnêteté, il a pris soin de ne lui attribuer ni un seul acte ni un seul geste qui ne soit en accord avec caractère ou avec les mœurs de son milieu, ou bien que la tradition orale, qui a joué un grand rôle dans la diffusion de l'antoinisme ne ratifie.
Nous n'avons point à engager une discussion d'idées, mais puisque nous avons à juger un roman, nous devons envisager le point de vue de l'art. Et là, malgré un sujet curieux et plein d'attraits, nous devons faire des réserves. C'est une grande règle valable pour toute œuvre en général d'aborder le sujet au moment où il devient intéressant. M. Robert Vivier nous fait suivre son personnage depuis sa naissance, ne nous fait grâce d'aucun détail et il en a peu de curieux jusqu'à l'âge de sa vocation tardive. L'auteur retrace avec beaucoup d'exactitude un milieu de braves, d'honnêtes, de saintes gens. Est-ce pour satisfaire aux exigences du populisme que l'auteur traite son sujet avec tant de minutie ? En tous cas, ces longs tableaux, ces longues digressions lassent avant la trois-centième page. Nous ne voudrions pas être sévère pour un auteur dont l'œuvre est fort appréciée, mais d'autres peut-être le seront plus que nous et, à la lecture de ce volumineux ouvrage, se rappelleront le vers de Boileau :
Qui ne sut se borner...Le Petit Marseillais, 8 avril 1936
Je termine la citation de Nicolas Boileau (citation très sévère du journaliste pour cet auteur) : « Qui ne sut se borner ne sut jamais écrire ».
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