• Elena Cassin - San Nicandro, Histoire d'une conversion (1957)(recension)

    Elena Cassin - San Nicandro, Histoire d'une conversion (1957)(recension)

    Auteur : Elena Cassin
    Titre : San Nicandro, Histoire d'une conversion 
    Édition : Quai Voltaire, Édima, Paris, 1993

    Recension :
       
    Judaïsme rural de conversion : dans l'Italie fasciste. — L'histoire est curieuse et, assurément, unique en son genre. Sur cette terre de Pouilles, là où « le Christ s'est arrêté », d'après la formule de Carlo Levi, un groupe de paysans catholiques de la bourgade de San Nicandro embrassent vers 1930 le judaïsme ; le pratiquent, dans une espèce de semi-clandestinité, malgré le fascisme et ses persécutions ; s'expatrient enfin, en 1949, en Israël, où, en Galilée, ils créent (mêlés à des Juifs italophones de Tunisie), une collectivité agricole, qui, paraît-il, continue à prospérer. 
        Cette histoire devient encore plus belle lorsqu'elle se trouve évoquée par la plume vivante de Mme Elena Сassin (1), qui a traité son sujet exactement comme il le fallait en tant que prudente historienne « comparatiste », mais aussi en tant que femme sensible qui s'est attachée à ses humbles et pittoresques héros. Un voyage d'études à San Nicandro, l'utilisation du journal tenu par Manduzio (le fondateur de la secte) lui ont permis d'explorer son sujet à fond.
        Nous apprenons ainsi que le cas est effectivement unique. Car la conversion au judaïsme de ceux de San Nicandro s'est faite en dehors de tout contact avec des Juifs vivants ou avec des écrits juifs (si ce n'est l’Ancien Testament) : qui plus est, pendant quelques années les convertis ignorèrent qu'il existât encore des Juifs sur terre !
        C'est donc à bon droit que Donato Manduzio pouvait se réclamer d'une révélation, et c'est ce qui fait tout l'intérêt du cas. Ce Manduzio était un invalide de la guerre de 1914-1918, autodidacte, conteur et boute-en-train de son village, un peu organisateur de spectacles dramatiques, un peu guérisseur. « Magnétisme » humain, par conséquent. Un jour, une Bible offerte par un pasteur protestant (les missions protestantes, les Pentecôtistes en particulier, se livrent à un prosélytisme assez actif, dans cette région) lui tomba entre les mains. Il lut l’Ancien Testament et fut conquis. Dans la nuit du 10 au 11 août 1930, très exactement, il eut une vision et « un homme qui tenait une lanterne éteinte dans la main » lui commanda de diriger son prochain dans la bonne voie. Ce qu'il entreprit aussitôt, non sans succès. C'est ainsi que l'histoire commence.
        Elle se complique lorsqu'un colporteur de passage apprend à Manduzio qu'il existe encore des Juifs, dans les villes. La petite secte se met en rapport avec la communauté juive de Rome, mais ces relations restèrent assez tièdes. En particulier, Manduzio semble avoir ressenti « un dégoût insurmontable » pour le Talmud. C'est avec raison, je crois que Mme Cassin commente : « Le Talmud est le produit d'une société complètement sédentaire et citadine et de ce fait étrangère et incompréhensible à un homme comme Manduzio » ; « De même, écrit-elle, la prédication du Christ qui s'adressait aux gens des villes, n'intéresse, ni ne touche Donato, qui reste un paganus ; un païen, dont le chemin s'est croisé un jour avec celui de Yahwé, dieu des bergers transhumants. »
        Notre histoire se corse lorsqu'en 1943, après le débarquement allié, la « brigade juive » de Palestine défile dans le pays, drapeaux ornés de l'écusson de David en tête. Ces soldats avaient la possibilité de dispenser de très nombreux biens terrestres ; ce fut peut-être l'une des raisons de dissensions et de jalousies parmi les convertis ; à un moment le groupe fut menacé d'une scission. Mais Manduzio réussit à maintenir son emprise. En été 1946, son vœu le plus cher est réalisé : un ministre officiant vient de Rome, et les hommes se font circoncire. En mars 1948, le prophète meurt. Au début de 1949, une trentaine de prosélytes émigrent en Israël.
        Toute cette partie « narrative » est de tout premier ordre. J'avoue avoir moins goûté la suite (« l'histoire et le milieu ») dans laquelle Mme Cassin expose avec beaucoup de pertinence les conditions sociales et économiques particulières à cette partie du Mezzogiorno. En effet, l'esprit ne saisit que très imparfaitement le lien entre ces conditions et la fascinante histoire dont traite la première partie. Je ne crois pas que cela soit la faute de l’auteur. Regrettons d'autre part que Mme Cassin ne nous apprenne presque rien sur la manière dont les convertis de San Nicandro se sont installés et acclimatés en Israël. Car on aimerait en savoir davantage. — Léon Poliakov.

    1. Elena Cassin, San Nicandro, Histoire d'une conversion, Pion, 1957.

    In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 13e année, N. 1, 1958. pp. 199-201;
    https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1958_num_13_1_2725_t1_0199_0000_2 

     


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