• Eliette Abécassis - Le rétrecissement de Dieu

        Lorsque Dieu créa l'homme, ce fut par un rétrécissement. Sa volonté infinie se replia en un être fini. C'est par une contraction de lui-même en lui-même qu'il laissa place à la créature. Tsimtsoum. Je ramène mon moi au néant, je rabaisse ma subjectivité, pour apercevoir en sa vérité la sagesse initiale, celle du commencement, avec tous les possibles, les changements et les évolutions incessantes de la volonté pure. Par là, je découvre tout ce que je n'avais pu soupçonner dans mon état conscient. Je fais une place à l'autre en tant qu'autre, celui qu'englué en moi-même je n'avais pas vu. Je suis le créateur sur le point de créer par l'ébauche ineffable du premier geste. Je découvre le monde divin - l'altérité totale, la transcendance absolue - en action en moi.
        Mais il faut pour cela pratiquer une longue ascèse ; renoncer aux valeurs de ce monde, se désintéresser de soi-même, se débarrasser de l'amour-propre, de l'orgueil, de l'intérêt personnel - et de la tristesse aussi, car les pleurs font oublier Dieu. Il faut faire le vide en soi, pour pouvoir déchiffrer tout ce qui était déjà là, à l'état latent, sans qu'on le sache, dans les pensées, les paroles, les désirs et les souvenirs. Ils faut délivrer la volonté captive pour lui rendre toute sa force.
        Alors seulement on peut parvenir à la véritable connaissance des choses. A l'inverse de la raison qui réduit les objets qu'elle appréhende à elle-même, par une répétition tautologique du même, la deveqout fait abstraction du moi pour envisager l'autre - c'est-à-dire le prendre avec soi.
        C'est pourquoi la deveqout était notre intelligence en même temps que notre éthique. Elle était le centre de notre vie, le noyau de la Rédemption. Car c'est par elle que se pressent et s'accomplit le Messie. Comme Dieu, il ne se révélera pas dans sa totalité, mais sur le mode d'une rétraction. Et lorsqu'il nous délivrera, il réunira en chaque pensée, chaque parole et chaque acte les étincelles divines qui en nous sont dispersées.

    Eliette Abécassis, Qumran, p.80-81
    Le Livre de Poche, Paris, 1996


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