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Emile Verhaeren - Une statue
On le croyait fondateur de la ville,
Venu des pays clairs et lointains
Vers ceux d'Europe — avec sa pauvre crosse en main,
Et grand, sous sa bure servile.
Pour se faire écouter il parlait par miracles,
En des clairières d'or, le soir, dans les forêts.
Où des granits carraient leurs symboles épais,
Et tonnaient leurs oracles.
Il était la tristesse et la douceur
Descendue autrefois, à genoux, du calvaire,
Vers les hommes et leur misère
Et vers leur coeur.
Il accueillait l'humanité fragile,
Il lui chantait le paradis sans fin
Et l'endormait dans le rêve divin,
Le front posé sur l'évangile.
Plus tard, le roi, le juge et le bourreau
Prirent son verbe et le faussèrent ;
Et les textes autoritaires
Apparurent, tels des glaives hors du fourreau.
Contre la paix qu'il avait inclinée
Vers tous, de son geste clément,
La vie, avec des cris et des sursauts déments,
Brusque et rouge, fut dégainée.
Mais lui resta le clair apôtre et le soleil
Tiédi, aux yeux de tous, de patience et d'indulgence
Et la pieuse et populaire intelligence
Venait puiser en lui la force et le conseil.
On l'invoquait pour les fièvres et pour les peines,
On le fêtait en mai, au soir tombant,
Et des mères apportaient leurs enfants
Baigner leurs maux dans l'eau de sa fontaine.
Son nom large et sonore d'amour
Marquait la fin des longues litanies
Et des complaintes infinies
Que l'on chantait, depuis toujours.
Il se définissait, près d'un portail roman,
En une image usée et tremblotante,
Qui écoutait, dans la poitrine
Haletante des tours,
Les bourdons lourds clamer au firmament.
Emile Verhaeren, Une statue, p.120
Les Villes tentaculaires (1895)
source : archive.org
Tags : père
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