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Enseignement par M. Antoine le Guérisseur, par F. Delcroix (La Meuse, 27 juin 1905)(Belgicapress)
ENSEIGNEMENT PAR M. ANTOINE LE GUERISSEUR,
DE JEMEPPE-SUR-MEUSESous les auspices de la Société les Vignerons du Seigneur, il vient d'être publié un livre qui est dû tout à la fois au travail collectif des adeptes et surtout à la longue expérience personnelle du chef de groupe : M. Antoine, le guérisseur bien connu. Une partie de l'œuvre est consacrée à l'étude des maladies et de leurs causes.
La lecture du livre et l'observation du milieu où il a pris naissance nous suggèrent quelques réflexions que nous croyons bon de soumettre au public.
Il existe une justice immanente et cette justice est ininterrompue. Elle réside dans le jeu souple de la loi du talion qui produit la lente ascension des instincts obscurs vers la lumière de l'intelligence. La pensée de l'homme est toujours active en bien ou en mal. Elle s'éveille au contact de la vie, tend à se réaliser, entraine les forces voisines, crée des penchants irrésistibles. Mais ce qui prouve la sagesse divine et la belle simplicité de la création, c'est que dans le conflit pour la durée, les tendances bienfaisantes sont les seules qui survivent. La Vertu est assurée de l'immortalité. Mais le vice se brise contre les obstacles qui se multiplient et se dressent devant lui, obstacles finalement invincibles. Il prépare lui-même ses épreuves. Les conséquences inévitables de ses actions obligent l'esprit à réfléchir. Il éprouve du remords, signe d'une plus grande sensibilité morale. La lutte est ramenée au fond de lui-même contre tous les souvenirs, toutes les habitudes enracinées, contre la foule des « revenants », selon l'expression d'Ibsen. Il substitue aux anciennes pensées, jadis agréables, maintenant douloureuses, d'autres états de conscience. De plus en plus certain que la satisfaction des appétits égoïstes procure un plaisir éphémère et grève son avenir, il rentre dans le courant du progrès indéfini, il devient plus sérieux, il aime le devoir dans sa beauté d'abord austère, puis souriante, acquiesce à la dignité du libre-arbitre dont les sanctions n'effrayent que les faibles. Il voit dans tout homme un frère plus ou moins avancé moralement.
Il n'ignore plus que ses joies se mesurent à la profondeur de son dévouement. Il s'exerce à pratiquer le bien de tout son pouvoir, parce que c'est l'unique moyen de se guérir de ses imperfections et de s'élever dans la hiérarchie des consciences. Alors resplendit de tout son éclat la loi divine qui était ensevelie au fond de la nature primitive et qui s'était souvent voilée dans le cours de l'évolution, au milieu des passions et des instincts.
Mais suffit-il de connaître la vérité ? Désireux d'agir dans le sens de la beauté, le pouvons-nous toujours ? Ne sommes-nous pas prisonniers de notre passé et nos volontés ne défaillent-elles point, hélas ! devant les suggestions intérieures : voix de sirène des penchants, langage despotique des ambitions et des intérêts ? Où puiser des forces pour réagir dans les heures décisives ? M. Antoine répond ici, non plus par des instructions morales, trop souvent inopérantes, mais par des œuvres.
En plein territoire industriel, il a créé une ruche féconde qui est en train d'essaimer à travers la Belgique.
La métropole se peuple chaque jour davantage. Non pas qu'elle séduise à première vue et par des dehors brillants : tout y est simple et discret ; la plupart sont des humbles dont la distinction est surtout morale. Si leur bonheur se devine dès l'abord à la lumière du regard et du sourire, vous ne pouvez guère en pénétrer les causes que dans un commerce assidu et prolongé qui vous dévoile le progrès intérieur de chacun, dû à l'étude constante de soi, le dévouement sans phrase et dans le secret, une fraternité agissante, dépassant de beaucoup la famille spirite. M. Maeterlinck nous dit que les abeilles emportent dans leur course vagabonde et active l'instinct de la cité parfumée. Les fidèles gardent un culte au séjour qui abrite leurs travaux, à la Maison du bonheur, comme ils l'appellent. Ils vont à travers la vie, soucieux de leur dignité professionnelle, toujours prêts à rendre service, aussi avides d'estime que d'affection, patients et doux, non par faiblesse, mais par égalité d'âme et par une jolie confiance en la nature humaine.
Les épreuves assaillent une mentalité et une activité si nouvelles. Mais le souvenir de la Ruche soutient et réconforte. Il n'est pas de tristesses ni de joies auxquelles Elle ne soit associée. Et c'est dans toutes ces bonnes volontés rayonnant dans les milieux divers que se dissimule le secret de son développement, de sa force et de sa durée. Des utopistes ont voulu fonder loin de la civilisation des sociétés modèles : ils n'oubliaient, pour réussir, que la chose essentielle : la métamorphose préalable du cœur humain, M. Descaves imagine une Clairière au sein de la ténébreuse forêt des instincts et des appétits ; elle est vite reconquise par l'ombre séculaire qui l'environne. La cité nouvelle était impossible sans la maturité du sens moral.
L'assemblée chrétienne des Vignerons du Seigneur résout le problème en élaborant une conscience collective plus fine, d'un charme pénétrant. Tous s'exercent à réaliser le commandement divin : « Tu aimeras Dieu par-dessus toute chose et ton prochain plus que toi-même ». Leur personnalité s'ennoblit. Elle pénètre dans les beaux secrets de la vie et de l'univers, dans cette réalité supérieure, inaccessible aux yeux de chair, mais qu'avait déjà entrevue l'intuition des poètes. La foi des adeptes grandit par le travail et l'expérience. Elle n'est pas un don gratuit et définitif. Elle se conquiert. Elle est évolutive, n'aspirant qu'aux joies sereines et viriles de la conscience qui cherche son Dieu, épèle la pensée sacrée que recèlent tous les cœurs tendres et dévoués, s'épure dans cette recherche et à ce contact, crée des œuvres fraternelles et durables. Elle ne fuit pas la vie contemporaine. Elle aime à s'établir au cœur des cités ouvrières. Forte de la lumière intérieure, elle ne redoute ni les sarcasmes ni les injures, et les pardonne, convaincue qu'ils sont adressés à la fausse image que l'on conçoit d'elle. Elle agit d'une façon lente, continue, insensible, recrutant tous ceux que désabusent les biens matériels et qui leur préfèrent la vie de l'esprit et la vie du cœur. Elle fonde le spiritisme moral, qui produit l'amélioration de l'individu et, comme conséquence nécessaire, la rénovation des sociétés.
Tel est l'esprit de la Ruche et tel est le miel qui s'est cristallisé dans cet Enseignement de M. Antoine le guérisseur.
F. DELCROIX.La Meuse, 27 juin 1905 (source : Belgicapress)
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