• Eric Emmanuel Schmitt - La Secte des Egoïstes (commentaire de l'écrivain)

    La secte des égoïstes est un roman philosophique, assurément, mais un paradoxal roman philosophique puisqu'il n'est pas consacré à une sagesse philosophique mais à une folie philosophique. Tous, nous avons éprouvé ce sentiment curieux : douter de la réalité du réel. Chaque nuit, nous vivons des scènes intenses, colorées, dont le réveil, au matin, nous apprend qu'elles étaient illusion. Eveillés aussi, nous basculons parfois dans une incertitude douce nous demandant si l'univers est bien réel.

    Moi-même, j'ai, vers l'âge de 20 ans, confondu souvent la vie rêvée et la vie éveillée, une habitude très embarrassante, et la lecture de Descartes, Leibniz, et surtout Berkley n'arrangea rien alors. Passant de sa forme ressentie à sa forme rationalisée, le solipsisme m'apparaissait incontournable, doctrine selon laquelle le monde, dans le rêve comme dans la veille, n'est jamais qu'une somme de sensations subjectives, que rien ne m'assure jamais de sa matérialité, qu'il n'a pas d'autre étoffe que mentale, qu'il n'existe qu'en moi et que par moi.

    Il avait soutenu, tout à fait sérieusement, que le monde n'existait que dans sa conscience, donc qu'il en était l'auteur. Surcroît de folie, il voulut fonder une école, convaincre, avoir des disciples alors qu'il professait sans doute la seule philosophie qui ne demande pas de disciples puisque les autres n'existent plus.
    Il mourut à 33 ans d'une overdose d'opium.Je savais le peu que deux ou trois érudits savent ; je pouvais donc imaginer...J'ai profité de ce que, seul, le roman permet : la multiplication des "je" puis leur confusion.

    La force occasionnelle du roman sur le théâtre est que le roman n'offre pas une action, mais un point de vue sur une action, voire des points de vue.
    Le roman, écriture de la subjectivité, permettait de traiter ce thème, les vertiges de la conscience, impossible au théâtre. Les excellentes réactions à sa parution auraient dû, pensent certains, m'encourager à écrire immédiatement un autre roman.
    C'est bien ce que j'ai fait. Ce fut l'Evangile selon Pilate. Mais cela me prit huit ans.

    Barcelona, Espagne, 13 Août 2000

    Eric-Emmanuel-Schmitt

    source : www.eric-emmanuel-schmitt.com


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