• Ernest Psichari, L'appel des armes - Cherbourg

        Le temps gris de Cherbourg est un merveilleux excitant au souvenir. Dans ces pays du Nord, on vit autant dans le passé que dans le présent. Par exemple, parce qu'il avait vu dans la cour du quartier ce jeune engagé, il pensa à cette femme qu'il avait jadis mené mourir à Voulangis et qui y était partie dans un vert et lumineux printemps, il y avait huit ans déjà. Pendant son deuil, le capitaine s'était consolé par d'interminables parties de chasse, — il avait essayé plutôt, car la chasse est une occupation terrible pour un coeur dolent. Mais pourtant, ce qui lui faisait du bien alors, c'était la qualité rare de ses émotions. Le petit clocher patriarcal, les glèbes riches foulées aux pieds pendant des heures, tandis que les grosses chaussures s'alourdissaient de terre grasse, ces paysages si parfaitement équilibrés, ce vieux sol, l'antique berceau, la terre de Mérovée, de Glodion, des rois fainéants dans leurs chariots à boeufs, ce vieux fief, l'harmonieux pays où il semblait reprendre racine, sentant sa force décuplée par les millions de forces ancestrales qui vivaient encore là, ces ruisseaux aimables qui lui disaient des choses fraternelles, ces jardins, la route nationale avec ses deux rangées d'arbres en plumeaux, les petites maisons emplies de bonheur simple, — tout cela lui avait composé une émotion si intense qu'elle avait presque effacé ses douleurs particulières.

    Ernest Psichari, L'appel des armes, p.82
    source : archive.org


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