• Extrait de La Chambre de ton père (Michel Déon)

    Les Antoinistes de Monaco (arrivé à Monaco) :

        Le changement est stupéfiant. Papa circule dans une voiture de fonction conduite par un chauffeur en casquette, Maman reçoit en cadeau un coupé décapotable. À la maison, Émile, l'ordonnance, appelle Teddy : « Monsieur Édouard. » Une cuisinière géante, moustachue, italienne de surcroît, porte un nom à claironner : Giuseppina Staffaroni. À quai sont amarrés beaucoup de voiliers et des yachts géants qui ne bougent jamais. D'ici, Alain Gerbault est parti sur le Firecrest pour traverser l'Atlantique en solitaire. Le balcon donne sur l'entrée du port entre les deux balises par-dessus le toit d'une mystérieuse villa aux volets tirés. Le jour en sortent des hommes en redingote et chapeau haut de forme, des femmes, toujours par deux, en longues robes noires coiffées d'une toque d'où tombe une voilette qu'elles relèvent pour descendre d'un pied précautionneux les marches du perron.

        Ce sont, dit Papa dont les fonctions paraissent être de tout savoir sur tout le monde, ce sont des antoinistes. Ils prennent saint Antoine pour le fils de Dieu et attendent, dans la pénitence et la prière, sa résurrection. Sur la gauche, un immeuble n'aurait rien de remarquable si, au deuxième étage vis-à-vis, n'habitaient un homme aux cheveux argentés et deux dames fort jeunes dont le plaisir est, semble-t-il, de se promener dans l'appartement en petite tenue - ou même sans tenue du tout - et de changer de robes plusieurs fois par jour. Teddy les a vite repérées et s'amuse de les voir passer devant la fenêtre dans un simple appareil tandis que défilent sur le trottoir au-dessous les dames antoinistes serrant à deux mains sur leur ventre - comme si des impies allaient les leur arracher - de volumineux sacs en étoffe noire. Un peu plus haut, vers le jardin exotique, une singulière maison s'élève en bordure du boulevard : un palais des Mille et Une Nuits, à façade de céramique bleu et vert incrustée de verroterie. Des jalousies baissées défendent les fenêtres. C'est la résidence de l'ambassadeur de Perse, le prince Riza Mirza Khan.


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