• Fin de vie d'Auguste Comte

        Dans ces dernières années, Auguste Comte s'était, on l'a vu, condamné à un régime sévère, que certains croient dicté parle désir de ménage son estomac et de conjurer la vieillesse : un bol de lait le matin, chaud l'hiver, froid l'été, avec soixante grammes de sucre et autant de pain. A six heures de relevée, cent grammes contrôlés de viande et des légumes. Pas de vin, sauf en cas de faiblesse déclarée. Mais d'autres, et ce sont les plus véridiques, assurent qu'il s'imposait ces restrictions pour participer aux privations que subit, sur cette triste planète, la foule innombrable des pauvres. Certains riches, comme les Goncourt, ont troué cela ridicule...

        Bien qu'on le trouvât vieux, il n'avait pas atteint la soixantaine. Il endura près de trois mois sa dernière maladie dont on discute si ce fut une affection du foie ou quelque tumeur maligne. Pour se soigner, comme pour soigner Clotilde, il avait encore prétendu, en raison de ses études de jeunesse et de son omniscience naturelle, suppléer les médecins. Il tomba un soir au pied du fauteuil de Clotilde et ne se releva point du minuscule canapé où l'on avait étendu son petit corps.

        Auguste Comte conclut [son testament] sur cette profession de foi, dont le lecteur jugera si elle n'exprime point, avec un détraquement sublime de l'esprit, une fidélité poignante du coeur, plus forte que la mort :
        " L'ensemble de [mes] espérances me paraît déjà confirmé par un sensible accroissement de l'harmonie sans exemple que mon éternelle compagne établit entre ma vie privée et ma vie publique, également concentrées vers l'Ange méconnu. Mon existence étant ainsi devenue plus semblable à la sienne, je sens diminuer la distance résultée de mon objectivité (cela veut dire : de mon maintien en vie sur la terre), qui seule empêche les âmes vulgaires de voir le double fondateur du positivisme comme le verra la postérité. Notre parfaite identification deviendra la meilleure récompense de tous mes services, peut-être même avant que la bannière universelle vienne solennellement s'incliner sur notre commun cercueil.
        " Terminé le jeudi 11 Bichat 67 (13 décembre 1855). " (Cachet sacerdotale).

    André Thérive, Clotilde de Vaux, ou la déesse morte,
    Chap. XXIII Où s'en va toute chair, p.265-66, p.270, p.274
    Albin Michel, Paris, 1957


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