• Henri Pirenne - Jusqu'aux entrailles de son sol

        La Belgique en plein travail prenait une physionomie nouvelle, avec ses terrils de charbonnages élevant sans cesse leurs pyramides noires, ses hauts fourneaux, les échafaudages de ses puits de mine, ses carrières de pierres rongeant les collines de l'Ourthe ou creusant le sol du Tournaisis et du Brabant wallon, ses rivières sans poissons roulant les déjections des usines et partout ces arbres du paysage industriel, les cheminées, avec leurs panaches de vapeur ou leurs écharpes de fumées irradiées le soir du rougeoiement des coulées de l'acier fondu. Il semblait presque que le pays, dans sa fièvre de produire, se dévorât lui-même jusqu'aux entrailles de son sol.
        Là même où le travail industriel ne pénétrait pas, il imposait aux campagnes une physionomie nouvelle. Les sapinières destinées au boisage des mines empiétaient plus largement d'année en année sur les bruyères roses de la Campine ou les fagnes violettes de l'Ardenne. La culture des céréales, de moins en moins rémunératrice à cause de l'exportation des blés étrangers, reculait devant la culture maraîchère et l'élevage du bétail. L'exportation des fruits, à Gand celle des fleurs devenait une source considérable de profits. L'introduction des coopératives agricoles sous l'influence du Boerenbond améliorait d'année en année la situation des paysans. A tout prendre, leur genre de vie s'industrialisait. Les productions de la campagne s'orientaient vers les villes et quantité de campagnards, mi-ouvriers, mi-paysans, profitaient des trains ouvriers qui, chaque jour, transportaient vers les usines et ramenaient le soir à leur domicile environ 100,000 individus. [...]
        Pour vivre sur son étroit territoire, une telle masse d'hommes est condamnée à produire sans cesse et de plus en plus. Car si fertile qu'il soit, son sol ne fournit qu'environ la moitié de son alimentation. En 1890, 55% du blé qu'elle consomme lui vient de l'étranger. Et il en est des matières premières de l'industrie comme des vivres. A part le charbon et les pierres, il faut tout importer du dehors : fer, zinc, laine, coton, bois de construction. [...]
        Sans doute, grâce au progrès général des affaires, le taux des salaires a augmenté. De 1880 à 1913, celui des mineurs, par exemple, passe de 920 à 1580 francs et l'on peut considérer l'accroissement continu des dépôts à la Caisse d'épargne (453 millions en 1895, 785 en 1905, plus d'un milliard en 1913) comme une preuve de l'amélioration du sort de la classe ouvrière. Dans l'ensemble cependant, et même après le vote de la loi de 1909 fixant à 9 heures la journée de travail dans les mines, la rémunération des travailleurs demeure inférieure à ce qu'elle est dans les pays voisins.

    Henri Pirenne, Histoire de Belgique (p.363)
    Volume 7 - De la Révolution de 1830 à la guerre de 1914
    source : archive.org


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