• Isi Collin - Antoine le Guérisseur (L'Indépendance Belge, 1er juillet 1912)(Belgicapress)

    Isi Collin - Antoine le Guérisseur (L'Indépendance Belge, 1er juillet 1912)(Belgicapress)Antoine le Guérisseur

        Antoine, le fameux guérisseur de Jemeppe-sur-Meuse, est mort mardi matin, dans la petite- habitation touchant le temple que les antoinistes avaient fait construire il y a cinq ans.
        Il était âgé de 66 ans. Dimanche, il avait été frappé par l'apoplexie, alors qu'il prêchait.
        La vie d'Antoine avait été celle d'un brave homme, charitable et désintéressé, qu'une manière exaspérée de christianisme mêlée de spiritisme transforma en apôtre de l'amour, « seul remède de l'humanité ».
        Antoine Louis était né à Mons-Crotteux d'une famille de cultivateurs. Tout jeune et presque illettré, il avait été employé dans un charbonnage. Lors de la guerre de 1870, il avait été envoyé avec le régiment de ligne, où il était simple soldat, à la frontière française.
        Là se produisit un accident qui influa beaucoup sur la destinée de cet homme : Au cours d'une manœuvre, Antoine Louis tua d'un coup de fusil un de ses compagnons. Il n'y eut point de suite judiciaire, mais le souvenir de ce malheur affecta vivement Antoine.
        Il fut dans la suite machiniste à Flémalle, se maria et partit pour l'Allemagne, aux usines de Stollberg. Il revint à Jemeppe, fut marchand de légumes ; puis fut engagé comme chef marteleur aux usines belges Pastor de Varsovie. Sa femme tint là une maison de pension, qui fit fortune.
        C'est à Varsovie qu'Antoine se mêla à quelques illuminés ; de graves événements politiques dont il fut témoin exaltèrent en lui une pitié native pour les hommes. Il était alors un grand admirateur des méthodes de Raspail, ce qui lui donnait dans le monde des ouvriers une réputation de médecin rebouteux.
        Il est cependant certain qu'Antoine n'usa jamais de charlatanisme et qu'il fut toujours un sincère, aidant ses malades de son argent autant que de ses conseils.
        Il rentra en Belgique et fut agent d'assurance. Il avait fait construire à Jemeppe quelques maisons et y manifestait une générosité qui l'entoura bientôt de la vénération du peuple.
        Il fréquenta alors un groupe de spirites qui avaient pour guides d'au delà Victor Hugo et le curé d'Ars. Antoine y apporta des idées tolstoïstes et des doctrines d'idéalisme slave. Il apporta aussi quelque argent, qui servit à l'installation d'une bibliothèque scientifique. Un petit journal spirite, le Flambeau, fut fondé ; c'était le début de l'antoinisme.
        Antoine fut concierge, puis encaisseur aux Forges et Tôleries Liégeoises ; mais il abandonna ces fonctions pour se consacrer tout entier à son apostolat. Il s'était, en effet, découvert médium guérisseur et cultiva des dons qui, en Russie déjà, avaient étonné les spirites qu'il fréquentait.
        En 1892, Antoine perdit son fils unique, âgé de 20 ans, et ne le pleura pas. Dès ce moment, il employa son argent à la divulgation de ce qu'il appelait sa révélation. Un jeune professeur d'athénée, une dame de Nice qu'il avait guérie lui servirent de secrétaires. Un adepte lui donna 20,000 francs pour la construction d'un temple ; des dons vinrent de toutes les parties du monde et une revue, l'Auréole de la conscience, fut publiée à Liége.
        Chaque matin, plusieurs centaines de personnes venaient consulter le guérisseur ; on distribuait des tickets pour ces consultations. Chaque matin également, Antoine recevait de France, d'Angleterre, de Scandinavie et d'Allemagne des paquets de télégrammes ; car il prétendait guérir à distance.
        Hors de ces séances et des prêches du dimanche, Antoine vivait en reclus, dictant ses réflexions à un sténographe. Il avait, à la mort de son fils, recueilli deux fillettes dont il surveillait attentivement l'éducation.
        Antoine avait été poursuivi deux fois pour exercice illégal de l'art de guérir. Il avait été condamné une première fois et acquitté la seconde. Ses adeptes lui firent alors une manière de triomphe.
        Des savants allemands et français, des écrivains, des journalistes le visitaient fréquemment. Antoine les recevait comme de de simples malades, se refusant à tout interview.
        Il semble pourtant que sa gloire l'ait un peu troublé ces dernières années. Le développement subit de sa doctrine à Paris, dans le Midi et en Angleterre l'avait amené à changer ses façons de guérir ; il opéra ses guérisons par masse. Il dédaigna moins les marques d'admiration et ce petit paysan aux bons yeux se vêtit d'une lévite et laissa croître ses cheveux.
        Sa « révélation », au reste, était devenue la religion antoiniste et cent mille de ses fidèles belges réclamèrent, par une pétition au Roi et aux Chambres, la reconnaissance du culte antoiniste.
        La mort de cet étrange et doux vieillard causera une vive émotion dans le monde spirite ; mais Antoine a pris soin, avant de mourir, de léguer à sa femme toute sa puissance de guérisseur.
                                                                          COLLIN.

    L'Indépendance Belge, 1er juillet 1912 (source : Belgicapress)

     

        Isi Collin fut écrivain (La Divine rencontre), auteur de théâtre (Sisyphe et le juif errant), poète (Vallée heureuse, Baisers). Il est surtout journaliste au Journal de Liège, à la Nation belge et au journal Le Soir, où il signe ses articles sous le pseudonyme de Compère Guilleri. Il est cité pour ses articles par Pierre Debouxhtay.


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