-
Jean-Jacques Rousseau - Pygmalion et Galathée
J'allais tomber à ses pieds !... délire effréné !... fatal égarement ! - Mais que de charmes !... O Galathée !... Vénus même est moins belle que vous... Vanité... faiblesse humaine... je ne puis me lasser d'admirer mon ouvrage... je m'enivre d'amour propre... je m'adore dans ce que j'ai fait... non... rien de si beau ne partu dans la nature - Quoi ! tant de beautés sortent de mes mains !... Quoi !... Pygmalion... tes mains heureuses... - je vois un défaut... ce vêtement jaloux dérobe trop aux regards le soupçon des charmes qu'il recèle... ils doivent être mieux annoncés.
Il prend son maillet a son ciseau, puis s'avançant lentement, il monte, en hésitant, les gradins de la statue qu'il semble n'oser toucher : enfin, le ciseau déjà levé, il s'arrête.
Quel tremblement...! Quel trouble... ! Je tiens le ciseau d'un main mal assurée... je ne puis... je n'ose... je gâterai tout...
Il s'encourage et enfin présentant son ciseau, il en donne un coup : saisi d'effroi, il le laisse tomber, en poussant un grand cri.
Dieux !... Je sens la chair palpitante... et repousser le ciseau.
Il descend, tremblant et confus.
Vaine terreur !... Fol aveuglement ! - non... Je n'y toucherais point... non... cette puissance inconnue... cet effroi respectueux...
Il s'interrompt et considère de nouveau la statue.
Eh !... que veux-tu changer ?... regarde... quels nouveaux charmes veux-tu lui donner ?... ah ! c'est sa perfection qui fait son défaut... Divine Galathée... moins parfaire, il ne te manquerait rien - rien !
Tendrement, après un instant de silence.
Il te manque une âme... ta figure ne peut s'en passer.
Il se fait un moment et reprend avec plus d'attendrissement encore.
Que l'âme faite pour animer un tel corps doit être belle !
Jean-Jacques Rousseau - Pygmalion, scène lyrique (1878)
source : archive.org
Tags : imagination de la matière
-
Commentaires