• Jean-Pierre Montulet - Installation du culte antoiniste à Spa (1909)

    Jean-Pierre Montulet - Installation du culte antoiniste à Spa (1909)

    INSTALLATION DU CULTE ANTOINISTE À SPA

        A Spa, en cette fin septembre 1909, la saison se termine. Le temps est gris triste. Le vent d'ouest charrie de lourds nuages noirs, navires sombres qui naviguent sur les collines. Il pleut. Une pluie lourde qui écrase tout. Les chemins de campagne sont détrempés. Consciencieusement, par dévouement ou par routine, le facteur des postes va, le pas alourdi de boue.

        Qu'importe ! il faut distribuer le courrier. Cette phrase, Léopold Lamboray en a fait sa devise. Cet homme trapu, né à Spa le 23 mars 1868 de parents ardennais – le père, Pierre François, est né à Bihain le 27 juin 1816, jardinier de son état, il a épousé une jeune fille de Houffalize, de près de vingt ans sa cadette, Marie-Françoise Daco, née le 15 août 1835 –, en a hérité la robustesse et le bon sens.

        Dans la cuisine de la modeste maison du Chemin de la Platte, à Sous-Bois, un bon poêle crapaud, la panse rougie, ronronne de plaisir. Dessus, côté buse plate, Virginie, comme chaque jour, en prévision du retour de son mari, a posé, pour la tenir au chaud, la "bolette" de café.

        Virginie, en réalité Marie Catherine Virginie, née Ledent à Sart, le 2 février 1870, de Nicolas Dieudonné, jardinier, et de Marie Julie Decorty, domiciliés à Ougrée, les cheveux tirés en chignon, le visage ovale toujours souriant, est un petit bout de femme solide, inusable, qui ne s'arrête qu'à la nuit ... et encore !

        Une famille de quatre enfants, çà en donne du travail ! Heureusement, l'aînée, Madeleine, qui a eu 13 ans le 15 mars dernier, réplique exacte de sa mère, lui est d'une aide précieuse, principalement pour s'occuper de la turbulente petite dernière, Jeanne, qui aura ses 4 ans le 10 décembre prochain. Et la Virginie est enceinte pour la cinquième fois. Ce sera un petit Raphaël qui naîtra le 21 avril 1900. Soulagement aussi, les "moyens", Georges, 9 ans le 9 février et Marie-Louise, bientôt 7 ans le 12 novembre, sont à l'école.

        L'après-midi s'étire. La porte d'entrée s'ouvre. Dans le couloir, Léopold s'ébroue en ôtant son képi. S'étant débarrassé de sa lourde capote trempée, il s'assied sur une marche. Madeleine se précipite pour aider son père à enlever ses lourdes bottes. Transi, il s'effondre dans "son" fauteuil à haut dossier, l'incline en poussant sur les boutons sous les accoudoirs, étend les jambes devant le poêle pour sècher chaussettes et pieds. Son épouse qui, comme à l'accoutumée, s'apprête à lui servir une tasse de café ragaillardissante, dans un faux mouvement, accroche la cafetière qui se renverse sur les jambes de Léopold. La droite prend le plus. Vite la douleur est insoutenable.

        Le médecin de famille, le bourru mais bon docteur Sury, estimé des humbles plus particulièrement, lui prodigue des soins jugés les plus appropriés. Mais rien n'y fait. La brûlure est mauvaise.

        Bientôt, l'incident, banal en soi, tourne mal. La gangrène se met dans la jambe. Le brave facteur est atteré. Son outil de travail, autant que son unique moyen de transport est fichu. Il sait qu'il ne lui reste que l'amputation pour lui sauver la vie. Et après ?

        Sa femme, sa sœur Marie Amélie, son beau-frère Gustave Delierneux, les voisins, les collègues, tous ces pauvres gens se lamentent, qui ne savent plus très bien que faire.

        Les fermiers, qui ont des prairies aux alentours de la maison, ont l'habitude de venir en celle-ci y tirer l'eau pour les vaches. Peu de temps après l'incident, l'un d'eux, surnommé "Mouton", découvrant l'inquiétude qui règne en ces lieux, s'informe de ce qui est advenu. Le lendemain il revient tout excité, brandissant un journal.
    - "Lisez l'artic' là ! Faut l'aller voir le rebouteux de Jemeppe ... i v'remettra vot'jambe d'adrêus !"
    - "Oui, mais comment ?"
    -"Pour y aller ? Ne v'tracassez nins"

        Et c'est ainsi que le malheureux facteur est transporté en charrette attelée jusqu'à chez ce "guérisseur", Louis Antoine.

        L'accueil se fait dans la plus franche cordialité. La jambe examinée soigneusement, l'homme dont tout chez lui inspire la confiance, prescrit de soigner la plaie par application d'huile de millepertuis, remède réputé souverain en cas de brûlure ou, lors d'exposition prolongée au soleil, pour les éviter.

        Quinze jours après, le docteur Sury, à son grand étonnement, ne peut que constater la guérison et déclarer que la jambe est hors de danger. Fou de joie, le brave Léopold s'en retourne chez son "bienfaiteur" pour le remercier, mais en train cette fois.

        Lamboray et les siens ont bien compris que ce Louis Antoine était un personnage hors du commun. Les journaux parlent de sa "révélation" et du mouvement qu'elle suscite.

        Mais qui était donc ce Louis Antoine que d'aucuns appellent "le Père" ? Ouvrier, né en 1846, à Mons-Crotteux, de parents simples, il est le cadet d'une famille de onze enfants. Comme son père et un frère, il débute dans la mine. Il n'a que 12 ans. Plus tard, refusant d'encore descendre dans la fosse, il devient ouvrier métallurgiste. A 24 ans, il part travailler en Allemagne. Son séjour dure cinq ans. De retour au pays, il épouse une jeune fille, connue avant son départ. Puis c'est à nouveau l'exil, en Pologne russe cette fois, et encore pour cinq ans. Puis le couple, qui s'est enrichi d'un fils, s'installe définitivement à Jemeppe-sur-Meuse.

        Louis Antoine et son épouse y mènent une vie très simple, aidant les démunis grâce à l'argent gagné à l'étranger. Ils poursuivent leur but sans découragement, même lorsque la mort leur reprend leur fils à l'âge de 20 ans. Celui qui devient le Père Antoine a, jusqu'à l'âge de 42 ans, été un bon catholique. Puis il fut acquis au spiritisme. Mais, peu à peu, il préféra la morale, à laquelle il se consacra jusqu'en 1906. C'est cette année-là qu'il crée le "nouveau spiritualisme", qui deviendra le Culte Antoiniste.

        Le premier lieu de culte installé chez lui, peu après, il inaugure en 1911 à Stembert, un deuxième temple aménagé dans une grange. Ensuite, un autre temple est consacré par la Mère, en 1914, à Verviers, rue des Jardins.

        Émerveillés, le mot n'est pas trop fort, par cette nouvelle doctrine, qui se veut être amour et respect, Léopold et Virginie décident d'ouvrir une salle de lecture de l'Enseignement du Père en leur demeure du Chemin de la Platte, 1.

        Inaugurée par la "Mère" Antoine, ce n'est pas encore un temple, mais une simple "chapelle". Qu'importe, le Culte Antoiniste vient de prendre racine à Spa.

        A la mort de Léopold, survenue le 17 mars 1925, Virginie continue seule, jusqu'à la préparation, puis la construction du temple qui existe encore actuellement, inauguré et consacré le 28 juin 1931, un dimanche, comme le veut la règle du culte. En effet, l'inauguration d'un temple a toujours lieu un dimanche.

         Alors d'autres vont prendre la relève.

                                                              J.-P. Montulet

     

        Je tiens à remercier le siège du culte à Jemeppe/Meuse, M. Léon Houyon, desservant du temple de Spa, M. Philippe Hardy, frère antoiniste français de la Ferté-Bernard, historien du culte et, surtout, Madame Jeanne Gérard, petite-fille de Léopold Lamboray, desservante du temple de Villers-le-Bouillet, restée spadoise de cœur, pour l'aide précieuse qu'ils m'ont apportée.

    Histoire et Archéologie spadoises
    n°81, mars 95, p.13-17


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