• Jules Noirfalise - Antoine le Guérisseur et les Cléricaux (Journal de Charleroi, 5 juillet 1912)(Belgicapress)

    Jules Noirfalise - Antoine le Guérisseur et les Cléricaux (Journal de Charleroi, 5 juillet 1912)(Belgicapress)L'Actualité

    Antoine le Guérisseur
                         et les Cléricaux

        Antoine le Guérisseur est mort. Ce fut un étrange thaumaturge, et certes on peut philosophiquement sourire de la simplicité de ses procédés et de la naïve confiance que ses adeptes avaient placée en lui.
        Comme tous les fondateurs de religion, il avait l'esprit mystique, brumeux, solennel et utopique.
        Il exprimait des aphorismes le plus souvent nuageux. Aux questions philosophiques les plus élémentaires, il répondait par des actes de foi et d'amour qui n'expliquaient rien du tout.
        Que les libres penseurs aient souvent souri au spectacle de la religion d'Antoine, s'implantant chez des amis simples, cela se comprend.
        Mais que les cléricaux, dont la religion est pétrie de dogmes absurdes, de croyances étranges et de fétichisme souvent commercial, se moquent du pauvre Antoine, voilà qui est inadmissible.
        Or, nous lisons dans la « Gazette de Liége » du 27 juin :
        « Antoine le Guérisseur est-il mort ?
        « Nullement ! Il s'est désincarné » ! Telle est l'heureuse et délicate expression mortuaire que son cénacle de lévites a récemment découverte pour annoncer au monde le trépas du « Père ».
        « N'est-ce pas l'expression qui convenait à cet étrange personnage, dont toute la vie fut une « désincarnation » ?
        « Il inclina au spiritisme qui est une abstraction de la chair. Au régime d'alimentation carnée il substitua l'usage des légumineux et farineux : le régime végétarien. Et par là peut-être se préparait-il, vivant, à la « désincarnation » suprême. Il était végétarien total, dit sa nécrologie. L'excès nuit en tout.
        « Il y avait longtemps, d'ailleurs, nous semble-t-il, que l'esprit du Père Antoine, perdu dans des spéculations mystiques et théogéniques, extra-terrestres, se refusait à reprendre contact avec le corps. Depuis plusieurs années déjà, il s'était désincarné.
        « Il suffirait, pour s'en convaincre, de tenter la lecture de quelques chapitres de la doctrine antoiniste. Elle est tellement diffuse et incompréhensible ! »
        La « Gazette de Liége » a-t-elle bien réfléchi à ce qu'elle imprimait là ? Comment ose-t-elle parler de « spéculations mystiques et théogéniques extra-terrestres » !
        Les catholiques ont-ils cessé de croire au Christ et à sa résurrection, de considérer l'Apocalypse et les Evangiles comme livres sacrés ? Or, ces documents plus ou moins authentiques du Nouveau Testament ont-ils cessé d'être « diffus et incompréhensible ?... »
        Il nous semble cependant que voilà près de deux mille ans que philosophes, théologiens et pères de l'Eglise discutent leur texte et ne parviennent pas à s'entendre sur leur sens précis...
        Les cléricaux se moquent d'Antoine ? Mais qu'ils se regardent donc eux-mêmes, qu'ils songent à leurs dogmes, aux récits nuageux des évangélistes, aux prétendus miracles des thaumaturges catholiques, aux cultes ridicules et enfantins que l'Eglise encourage et qui transforment la simplice religion de Jésus en un fétichisme comparable en stupidité aux superstitions les plus naïves des peuplades congolaises.
        Pour nous, libres-penseurs, il y a dans le fait de la propagation étonnante de l'Antoinisme une leçon éloquente. C'est la facilité avec laquelle, même au vingtième siècle, peut s'implanter un culte mystique.
        Que de gens sincères affirmeront, dès aujourd'hui, de bonne foi, qu'Antoine faisait des miracles. Et pour peu que sa doctrine se propage encore parmi les gens simples qui sont, hélas majorité, dans quelques années, rien ne s'opposera à ce que la légende populaire en fasse un Dieu à l'égal de Jésus.
        Celui-ci n'apparaît-il pas, lui aussi, dans la brume des légendes de son temps, comme un pauvre homme d'humble naissance qui exerça un certain ascendant sur les pauvres gens de son entourage ?
        L'Antoinisme est, pour nous, la preuve de la fragilité du témoignage humain en matière religieuse. Ceux qui croient aux miracles du guérisseur de Jemeppe ne sont ni plus ni moins sots que ceux qui adorent un Christi dont l'existence est discutable et dont aucun historien contemporain n'a parlé. Les cléricaux se moquent d'Antoine désincarné. Mais ils acceptent comme article de foi la fable ou plutôt le symbole de la résurrection de Jésus trois jours après sa mort.
        Mais, diront-ils, des témoins ont raconté dans les Evangiles qu'ils avaient revu Jésus vivant après son supplice.
        Qui sait si, dans quelques semaines, un brave Antoiniste, illuminé et mystique, ne viendra pas raconter sincèrement qu'il a rencontré le « Père » sur la route de Jemeppe et que, comme l'apôtre Pierre du beau roman de Sienkiewicz, il lui a crié : « Quo Vadis Domine ? »
                                                                         JULES NOIRFALISE.

    Journal de Charleroi, 5 juillet 1912 (source : Belgicapress)

        Jules Noirfalise était avocat, journaliste et conseiller communal (échevin) libéral (modéré). Également franc-maçon, il prend ici naturellement la défense du culte antoiniste face au catholicisme.


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