• L'Antoinisme à Bruxelles (La Nation Belge, 11 août 1925)(Belgicapress)

    L'Antoinisme à Bruxelles (La Nation Belge, 11 août 1925)(Belgicapress)

    L’Antoinisme à Bruxelles

    Un entretien avec le Frère Janin, officiant du temple
    qui vient d’être inauguré dans la capitale

        On vient d'inaugurer à Bruxelles un temple antoiniste. C'est pour le quartier environnant le gros événement de l'année. Vers la façade neuve, haute d'un étage, qui s'orne de l'inscription « Culte Antoiniste », les passants tournent des regards curieux, les enfants, un doigt sur la bouche, s'arrêtent devant la porte massive et la contemplent comme si elle allait s'ouvrir brusquement devant une apparition de l'autre monde ; les commères des environs jettent de temps à autre un coup d'œil reconnaissant sur la mystérieuse demeure qui leur promet une moisson inépuisable de ragots et de cancans ; il n'y a que les hirondelles pour n'attacher aucune importance à ce bloc de maçonnerie, qu'elles frôlent de l'aile, au cours de leurs circuits vertigineux, avec la même familiarité que la maison du cantonnier ou la flèche de la vieille église campagnarde.

    Aimez vos ennemis !

        Un temple suppose des fidèles. On n'entasse pas les briques sur les briques pour le plaisir. Il y aurait donc des antoinistes dans la capitale ? Nous n'en avions jamais entendu parler. Nous savions qu'à Liége le père Antoine avait laissé de très nombreux adeptes et que son enseignement, continué par sa veuve, n'avait rien perdu de sa faveur auprès d'une population dont le scepticisme apparent dissimule des trésors de crédulité ; mais nous croyions bien que la zone de diffusion s'arrêtait aux limites de notre bonne province wallonne.
        Intrigué par la nouvelle de cette inauguration, nous avons voulu en avoir le cœur net. Nous avons franchi le seuil du Temple Antoiniste.
        Un homme d'aspect austère, sanglé dans la longue redingote noire boutonnée au col qui est l'uniforme des antoinistes, s'aidant de deux cannes pour mouvoir son corps foudroyé, les yeux fixes et pénétrants dans un visage émacie, vint à notre rencontre et, après un moment d'hésitation, consentit à nous recevoir dans un petit parloir aux murs blanchis à la chaux, meublé d'une table, d'une chaise et d'une armoire, sans style, comme on en trouve chez les plus pauvres. Du coup, notre attention fut attirée vers le seul objet qui rompit la triste monotonie du lieu, une pancarte sur laquelle nous lûmes cette inscription tracée avec un certain souci de coquetterie typographique :
        Un seul remède peut guérir l'Humanité : la Foi.
        C'est dans la Foi que naît l'Amour, l'Amour qui nous montre dans nos ennemis Dieu lui-même.
        Ne pas aimer ses ennemis, c'est ne pas aimer Dieu, car c'est l'amour que nous avons pour nos ennemis qui nous rend dignes de le servir : c'est le seul amour qui nous fait vraiment aimer, parce qu'il est pur et de vérité.
       
    A deux pas de la rue populeuse et du fracas de la grande ville, ces mots sonnent étrangement. Mieux que n'y parviendrait une mise en scène recherchée, ils placent instantanément le visiteur dans une atmosphère très « thébaïde ». On est prêt à toutes les surprises et l'on ne songe plus à sourire, si tant est qu'on soit venu avec de mauvaises dispositions.

    Tout par le recueillement

        L'homme austère aux yeux fascinants n'est autre que le Frère Janin, l'officiant du Temple. Il est chez lui, mais sa main ne nous indique pas la chaise sur laquelle nous nous appuyons. Lui-même reste debout, droit comme un i, malgré le pauvre appui de ses jambes vacillantes. Et la conversation s'engage.
        Si les antoinistes sont nombreux Bruxelles ? nous dit le Frère Janin en réponse à la question que nous lui posons. Je serais bien en peine de vous le dire, car si nous accueillons tout le monde dans nos temples, nous ne demandons rien à personne, pas même les noms qui nous permettraient d'établir des listes et de dresser des statistiques.
        Nous sommes quatre pour desservir cette maison. J'ignore si par delà des murs, d'autres hommes confirment leur conduite aux préceptes de notre « Père » et acceptent sa révélation. Nous ne nous en préoccupons pas.
       
    Et comme, à ces mots, nous marquons notre étonnement, le Frère Janin poursuit, du même ton uni, les yeux fixant les nôtres ou détournés vers quelque vision intérieure :
        – Non, nous ne nous en préoccupons pas, car notre but n'est pas de grossir nos rangs. Le prosélytisme nous est inconnu. L'œuvre de perfectionnement moral et de soulagement physique à laquelle nous nous adonnons est complètement désintéressée. Sur cent malades qui s'en vont guéris après avoir sollicité notre assistance, il n'y en a pas deux qui nous restent. C'est ainsi qu'en 1910, il s'est trouvé 100,000 personnes pour signer la requête demandant la reconnaissance légale de l'Antoinisme, mais nous ne possédons probablement pas 1,000 antoinistes agissants dans tout le pays.
       
    Cette doctrine est étrange. Alors que toutes les autres réclament de leurs fidèles le zèle à la propagande, elle ne fait rien pour attirer et retenir les masses. Elle les sert, elle les soulage, mais elle ne vise pas à les annexer. Bien mieux, le Père Antoine estimait que les grandes affluences nuisent au succès des réunions. Pourquoi ? Le Frère Janin va nous l'expliquer :
        – Nous n'obtenons rien que par le recueillement. C'est en concentrant notre pensée, par la prière muette, mais ardente et unanime, que nous parvenons à créer en nous les dispositions favorables à la venue des grâces. Or, là où beaucoup d'hommes sont assemblés, le recueillement devient difficile, et il suffit de quelques curieux qui ne soient pas à l'unisson pour rompre le faisceau des âmes convaincues et détruire l'effet de leur exaltation. Je parle sans doute un langage qui ne vous est pas familier. Eh bien ! je prendrai une comparaison. La boussole que le capitaine du navire consulte en plein Océan lui indique la route à suivre, sans risque d'erreur. Mais si quelqu'un s'approche avec une barre d'acier, l'instrument perd par le fait même toute efficacité et ses indications égarent le capitaine. Ainsi en va-t-il pour nos réunions quand le recueillement n'est pas complet.
       
    Quel est le programme de vos réunions ?
        – Tous les soirs, une séance de recueillement et trois fois par semaine la lecture de la « Révélation ».
       
    Quelle est votre altitude à l'égard du catholicisme ?
        – Nous respectons tous les cultes et nous ne demandons à personne quel Dieu il adore ou s'il en adore un.

    Les guérisons

        Vous dites que vous poursuivez le soulagement de l'Humanité souffrante. L'antoinisme a-t-il des guérisons à son actif ?
        – Des milliers ! Il n'est pas un village de la province de Liège qui ne compte plusieurs miraculés.
        Le jour de l'inauguration, ici même, j'ai vu une paralytique se lever et marcher sans aucune difficulté et sans le secours de personne. Moi-même, blessé pendant la guerre (j'ai servi dans la marine française), abandonné par les médecins qui m'avaient enlevé tout espoir de quitter la couche où j'étais étendu, c'est le père qui m'a guéri.
        Excusez-moi, mais je me rappelle fort exactement avoir vu le Père Antoine sur son lit de mort, à Jemeppe, pas mal de temps avant la guerre ?
        – Le père est mort, réplique le Frère Janin, mais son esprit lui survit.
        Mais un bourdonnement confus s'élève dans le corridor. Des consultants sans doute, qui ont hâte de confier le souci qui les accable et de recueillir la parole d'espoir.
        Déjà une fois notre entretien a été interrompu par un coup discret frappé à la porte. Le Frère Janin nous pria de l'excuser et disparut quelques instants. Nous eûmes le temps d'apercevoir une dame de la plus sûre élégance et dont le visage trahissait une intense préoccupation. Maintenant ce sont trois femmes du peuple, en cheveux et en tablier. Et nous sommes ici depuis une demi-heure à peine ! Il n'y a pas huit jours que le Frère Janin donne ses consultations !
        La clientèle vient vite à qui se penche sur la misère humaine.                    LIONEL

    La Nation Belge, 11 août 1925 (source : Belgicapress)


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