• L'Antoinisme (Le Journal, 11 juillet 1912)

    L'Antoinisme (Le Journal, 11 juillet 1912)

    L’“ANTOINISME”

        Antoine vient de mourir !
        Qui cela, Antoine ? En Belgique, on ne se risquerait pas à poser la question, car Antoine était plus connu chez les compatriotes de Léopold que le roi lui-même.
        Voilà bien vingt ans et plus qu'Antoine opérait des cures, et il faut croire avec quelque succès, puisque son commerce prospérait. Peut-être sommes-nous bien irrévérencieux, car c'est une véritable religion, dont il était à la fois le Dieu et le prophète, que feu Antoine avait fondée, et l' « Antoinisme » avait, parait-il, plus d'adeptes que le culte du saint de même nom. Quelles panacées merveilleuses, quels remèdes extraordinaires employait-il donc ?
        « Allez et priez », se contentait-il de dire à ses fidèles.
        Ces idées sur la guérison des maladies par la prière ne sont pas, à vrai dire, nouvelles. On les retrouve plus ou moins modifiées en Italie, en Espagne, en Allemagne et dans notre propre pays. Il existe un livre populaire allemand, correspondant à notre Médecine des pauvres. « Ce livre, dit un de ceux qui l'ont parcouru, mériterait d'attirer l'attention de la police, si elle ne préférait laisser au temps le soin d'en faire justice. » Mais le temps ne se hâte pas...
        Quant à l'Espagne, les érudits nous ont depuis longtemps appris que la science des ensalmos, ou oraisons, était jadis une science importante, dans laquelle prenaient des degrés toutes les duègnes, tous les mendiants, et en grand nombre – le croirait-on ? les aveugles ! Il y en avait pour tous les maux, pour toutes les infirmités, et leur succès était infaillible si elles étaient récitées avec componction, d'une voix grave et posée.
        Ce genre d'invocations se rédigeait, le plus souvent, en latin de cuisine, ou se mettait en rimes, afin que l'expression exacte s'en gravât mieux dans les mémoires.

        Les nombreux opuscules de piété réédités au commencement du seizième siècle par Guillaume Merlin renferment quelques-unes de ces formules, rimées sous le règne de Charles VII, et que son fils, le terrible Louis XI, dut porter dans son bonnet de feutre, à côté de ses petites idoles de plomb.
        La plupart sont vraiment curieuses.
        Voici, par exemple, la « piteuse oraison de saincte Syre », qui avait la spécialité de guérir la gravelle et le mal de reins. Le poète de couvent qui a rimé cette pieuse requête commence par saluer « la glorieuse dame et pucelle » ; puis il formule ainsi ses vœux :
        Dévotement je te requiers
        Qu'il te plaise de nettoyer
        Mon corps de toute maladie.
        ……………………………………………
        Par tes vertus et sainctetes
        Des reins pierres grosses et dures
        Sont boutes hors et degettez
        De toutes pôvres créatures ;
        Et gravelles pareillement,
        Doulce dame, tu fais yssir
        De maintes gens incontinent.

        Une autre prière, postérieure comme date, et en prose vulgaire, avait pour but principal d'arrêter les hémorragies provenant de coupures. Elle est ainsi libellée :
        « Dieu est né la nuit de Noël, à minuit ! Dieu a commandé que le sang s'arrête, que la plaie se ferme et que ça n'entre ni en matière, ni en senteur, ni en chair pourrie, comme ont fait les cinq plaies de N.-S. Jésus-Christ. Natus est Christus, mortuus est, resurrexit Christus ! On répète trois fois ces mots latins et, à chaque fois, on souffle, en forme de croix, sur la plaie, prononçant le nom de la personne en disant : Dieu t'a guéri, ainsi soit-il ! »
        Il y avait des prières différentes pour les maladies des yeux, pour les boutons et les furoncles, pour la transpiration des enfants, pour la teigne, etc.
        « Les paysans poitevins, écrivait naguère le docteur Tiffaud, appellent le furoncle ver de taupe ou vertaupe. Pour s'en débarrasser, on va chez le guérisseur trois matins consécutifs, et avant le lever du soleil. La personne qui touche, le toucheur, applique la paume de sa main droite sur le ver de taupe ; puis, elle récite à voix basse une prière, précédée et suivie d'un signe de croix.
        Cela fait, le sujet retourne chez lui ; mais, précaution essentielle, il ne faut pas qu'il ait de cours d'eau à traverser, car le bénéfice de l'attouchement et de la prière serait perdu. »
        Il n'y a pas encore un quart de siècle, on rencontrait dans les foires et les « assemblées » du centre de la France des marchands ambulants qui promenaient dans des boîtes, sortes de reliquaires, des images de saint Hubert, auxquelles ils faisaient toucher des bagues, des chapelets bénits, qui, à ce contact, acquéraient de grandes vertus préservatrices.
        Lorsque vous étiez munis d'un pareil talisman, et que vous saviez par cœur la fameuse oraison de saint Hubert, vous étiez à l'abri de la morsure des serpents venimeux comme de celle des chiens enragés.
        « Que de fois, nous écrit un de nos confrères belges, n'avons-nous pas vu des enfants, atteints de convulsions, dont les parents se contentaient, pour tout traitement, de lire, en tenant la main sur la tête du bébé, le premier chapitre de l'Evangile de saint Jean !... »
        Ces croyances sont de tous les temps et de tous les pays. Un médecin nous rapportait, il y a peu d'années, le cas d'un professeur de Moscou atteint de sycosis parasitaire, affection de la peau particulièrement rebelle, qui, fut guéri en trois jours, grâce aux prières d'une commère. Chose incroyable, on avait constaté la présence de staphylocoques dans le pus, et la maladie avait résisté, pendant neuf mois, à toutes les médications mises en usage contre elle.
        Un autre médecin raconte avoir vu, en Perse et en Kurdistan, la diminution du foie et de la rate se produire après, cinq ou six séances de la cérémonie suivante : avec un sabre courbe, on frappait perpendiculairement, et sans le blesser, le ventre du patient, en récitant, des versets du Coran. Sous l'influence de la peur, de la foi ou de la suggestion de l'entourage, il se produisait une vaso-constriction (resserrement des vaisseaux) et, par suite, une diminution de la rate hypertrophiée.
        Toutes les railleries, tous les scepticismes doivent tomber devant un fait.
        N'est-ce pas Charcot qui l'a déclaré : la foi guérit ?
        Il n'est pas, en effet, pour le médecin, et plus spécialement pour le psychothérapeute, d'auxiliaire plus puissant.
                                                             Docteur CABANÈS.

    Le Journal, 11 juillet 1912


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