• L'Eglise racontée par les biographes de Louis Antoine

        Il n’y avait pas grand monde dans l’église. Antoine et Catherine se prosternèrent en bon paroissien puis regagnèrent leur rangée respective, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Antoine trempa ses doigts dans le bénitier de l’entrée principale et se signa. Il y avait deux confessionnaux néogothiques le long d’un mur, non loin de la chaire de vérité. Quelques femmes agenouillées récitaient leur chapelet et des prières avec dévotion. Cette forme de religiosité persistait dans les faubourgs comme si l’épreuve renforçait la ferveur des pauvres gens. Le curé célébra la messe en latin, le dos tourné aux fidèles qui n’y comprenaient rien mais qu’importe quand la foi est ardente. Dans son homélie, le curé vilipendait contre les cabaretiers et les usines qui ne respectaient pas le jour du Seigneur – ce qui ne remplissait pas les églises – ouvrant plutôt la porte aux comportements socialistes qu’il haïssait tant.
        La messe terminée, les femmes se levèrent dans un bruissement d’étoffe et de bruits de chaises que l’on traîne. Catherine s’attarda devant l’église. Il était de coutume d’échanger quelques potins et de prendre des nouvelles de ceux que l’on n’avait pas vu depuis longtemps ou que l’on ne voyait pas assez souvent.
        A l’intérieur, Antoine sentit le doute l’envahir en apercevant un grand jeune homme sanglé dans une soutane noire qui tombait jusqu’aux pieds. Ce vicaire du christ aux propos emphatiques dissimulait mal son inexpérience de la vie. Un visage imberbe et tout en longueur dévoilait un esprit romantique comme celui des poètes ou les rêveurs qui vivent dans leur propre monde.
        Antoine le vit s’approcher, les mains croisées, la tête penchée de côté avec affectation.
        L’apparition surnaturelle semblait glisser sur le sol.
        - Monsieur le vicaire, dit-il avec embarras, pourrais-je vous parler ? [...]
        - Alors, expliquez-moi.
        Antoine hésitait.
        - Croyez-vous… qu’il y a… une… euh… vie après la mort ?
        Le curé fit un bond en arrière.
        - Que racontez-vous là ? Seul Notre Seigneur Jésus Christ est ressuscité d’entre les morts !
    Antoine insista. Le sourire du curé se transforma en un rictus et ses paupières se mirent à clignoter sous l’emprise d’une très vive émotion.
        - Voilà que vous parlez comme ces spirites, maintenant ?
        L’ombre du curé se détachait à contre-jour.
        - Est-ce vraiment un péché, monsieur le vicaire ?
        Le curé s’empara brusquement d’une petite bible qu’il se mit à feuilleter d’une main fébrile puis son doigt s’arrêta en haut d’une page. Il reprit alors d’une voix haut perchée :
        - Si un homme a un esprit de divination, qu’il soit puni de mort et que son sang retombe sur sa tête. Lévitique, chapitre XX, verset 27. Croyez-moi, mon ami, c’est bel et bien un péché !

    [...]

        La messe dominicale avait beau être un acte religieux pour les paroissiens, peu en fait s’approchaient de la sainte table pour y consommer le pain bénit. Déjà que les vêpres étaient boudées… Bref, on fréquentait de plus en plus rarement le temple de Dieu. Et puisque les tabernacles avaient été forcés, le curé refusait de confier la clé du clocher tout neuf au sonneur ainsi qu’à l’horloger chargé par la municipalité de remonter l’hor-loge rien que parce qu’il voyait en eux des ivrognes.
        A Jemeppe comme partout ailleurs, les coups de langues allaient bon train, remplaçant les coups de fusils ou de couteaux dans le dos. Si la presse figurait au rang des ennemis du curé, il fallait tout de même bien admettre que la plume anticléricale se trempait dans l’encrier de la médisance pour parler de ces vestibules de l’enfer qu’étaient devenues les églises.
        Le curé montait donc à l’autel comme à l’accoutumée, tournant le dos à deux ou trois fidèles. Sa voix résonnait de façon toujours aussi lugubre, du haut de sa chaire où il tentait désespérément de réveiller leur foi.
    Roland A E Collignon, La Vie tourmentée de Louis Antoine

        L'air du dehors lui rafraîchit le visage. Il se dirigeait vers l'Eglise de Jemeppe. [...]
        La grille grinça. Deux femmes en noir, le livre de messe à la main, pénétrèrent dans le cimetière. Tout proche, impressionnante, la cloche de l'église se mot à sonner pour l'office du soir. Antoine vit arriver le vicaire, puis d'autres personnes. Il entra derrière elles dans l'église assombrie.
        Ecouterr le salut ne lui apporta pas le soulagement. Plusieurs fois il se surpris à être distrait. En sortant, il fut secoué d'un grand frisson entre les épaules, comme s'il avait pris froid. [...]
        Ainsi songeait-il, et il attendait à la grille. Enfin un pas fit crier le gravier et monsieur le vicaire apparut, long et pâle dans sa soutane noire, et d'aspect si jeune, tout d'un coup, qu'Antoine regretta de l'avoir attendu. [...]
        - Monsieur le vicaire, fit Antoine, excusez e dérangement. Pourrais-je vous parler quelques instants ? [...]
        - Vous qui êtes instruits, monsieur le vicaire... Et puis, vous connaissez les choses de la religion... Voilà, vous alleé vous moquer de moi, sûrement. Mais je ne dors plus, monsieur le vicaire. Ma prière n'est pas bonne, je crois... [...]
        - Je ne comprends pas bien, murmura-t-il enfin. Je ne comprends pas bien vos scrupules. Vous pratiquez, vous priez... [...]
        - Avez-vous fait vos Pâques, mon ami ? [...]
        Le vicaire donnait des conseils
        - Vous devriez faire des aumônes.
        - Hé ! j'en fais, monsieur le vicaire. Mais ne croyez-vous pas qu'une neuvaine...
        La main blanche monta et s'abaissa, évasive.
        - Sans doute. Une neuvaine...
        Il se leva, et, posant les deux mains sur les épaules d'Antoine, dit d'un ton changé, où il y avait une sorte de camaraderie très légèrement paternelle :
        - Surtout, ne pensez pas tant, cher monsieur Antoine. Cela ne fait pas de bien, croyez-moi. Pratiquez, et vivez en paix. [...]
        - Méfiez-vous, mon ami. Il est très dangereux de penser, quand on n'a pas assez d'instruction pour le faire. Laissez penser pour vous ceux qui savent, et n'oubliez pas que Dieu punit les orgueilleux.
    Robert Vivier, Délivrez-nous du mal, p.138-144

        Le pays de Liège semblait particulièrement ouvert à cette inspiration. Pays où le peuple a abandonné l'église parce qu'elle ne lui semblait plus sa maison, parce que dans sa vie trop dure il sentait le prêtre trop loin de lui, parce que le prêtre lui est apparu comme l'hôte du château et l'ami du directeur d'usine, mais où il a gardé des mains prêtes à se joindre, et son ancien coeur.
    Robert Vivier, Délivrez-nous du mal, p.226-227

    Liste des curés de Jemeppe du temps de Louis Antoine :
     Jean Hubert Schoofs, de 1858 à 1867
     Guillaume Gryz, 1 mois de février à mars 1867
     Jean Hubert Wynands, 9 mois de mars 67 à décembre 1867
     Henri van Roey, de 1867 à 1872
     Joseph Claes, de 1872 à 1873
     Emile Grieten, de 1873 à 1881
     Joseph Deckers, de 1881 à 1889
     Hubert Spirlet, de 1890 à 1891
     Johannes Gyr, de 1891 à 1892
     Joseph Collinet, de 1892 à 1895
     Louis Hendrix, de 1895 à 1898
     Hubert Hauseux, de 1898 à 1901
     Arsenius Dogne, de 1901 à 1912
     Joseph Jacob, de 1912 à 1918
    Marcel Peters, Il était une fois Jemeppe-sur-Meuse, p.79

        Pierre Debouxhtay évoque Henri Van Roey (p.281) :
        Dès les débuts du Guérisseur, le curé de Jemeppe, feu l'abbé Van Roey, avait mis ses paroissiens en garde contre l'enseignement et es pratiques des Vignerons ; dans les conférences qui réunissent périodiquement les curés de chaque doyenné, il documentait ses confères sur le péril antoiniste, qu'il signala aussi à l'Evêché où l'on n'y attacha guère d'importance. Les notes que M. Van Roye recueillit serviront plus tard à M. Crowley (Kervyn), aumônier du travail, pour écrire sa brochure sur ou plutôt contre Antoine [Révélations sur Antoine le Guérisseur, Bruxelles, 1911, 31 p.].
        Pour se documenter, M. Van Roey avait prié un de ses paroissiens, en relation d'affaires très fréquentes avec les antoinistes, de se renseigner soigneusement sur les pratiques des Vignerons. Ce paroissien est devenu antoiniste.


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  • Commentaires

    1
    Jacques Cécius
    Mercredi 13 Janvier 2010 à 17:53
    "Ne pensez pas trop"
    Tel était l'enseignement donné par les prêtres à l'époque... Ne pas penser, mais obéir à Rome et à son clergé. Dieu merci les choses ont changé.
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