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L'horrible crime d'Ixelles (La Dernière Heure, 3 juin 1934)(Belgicapress)
LE MYSTÉRIEUX SOLDAT QUI TUA Mme CURÉ
A PU ÊTRE IDENTIFIEDÉJA DÉSERTEUR, IL EST RECHERCHÉ PAR
LA JUSTICE MILITAIRE QUI LE JUGERANous avons relaté, hier, l'horrible crime commis à Ixelles, rue Georges Lorand, 31 : une vieille femme, Mme Curé, a été trouvée morte, assassinée.
Un soldat inconnu a été vu par de nombreuses personnes, dont aucune n'a pu donner un signalement précis de ce militaire, qui paraît être l'assassin.L'AUTOPSIE DE LA VICTIME
L'autopsie du cadavre de Mme veuve Curé, pratiquée par MM. les médecins légistes Héger-Gilbert et Marcel Héger, a montré que la malheureuse est morte assommée par des coups de bouteille répétés. Le cuir chevelu est déchiré en plusieurs endroits, mais les os du crâne proprement dits ne présentent pas de fractures. La mort a néanmoins été soudaine. Le bâillonnement et les entraves mises aux poignets sont des actes que l'assassin a pratiqués, par excès de précaution, après la mort de la victime, sans doute dans la croyance que celle-ci n'était qu'évanouie.
Cependant, le bâillonnement a été fait avec une telle brutalité qu'il aurait pu, lui aussi, amener la mort de la pauvre femme.
En effet, le bandit s'est servi de deux serviettes. L'une avait été enfoncée dans la bouche, avec une telle violence que le râtelier de l'octogénaire avait été brisé, la partie supérieure avait été refoulée au fond de la gorge et obstruait complètement les voies respiratoires. La partie inférieure a été retrouvée sur le parquet.
La seconde serviette, nouée derrière la tête, était destinée à maintenir la première employée en forme de tampon.
Les mains étaient liées au moyen d'une camisole tordue. Il ne semble pas que l'assassin ait apporté avec lui un objet quelconque dans le but de commettre son crime.
On sait qu'il a été acheter les bouteilles de bière, qui ont servi de massue, dans un café du voisinage. Les serviettes et la camisole appartiennent à la victime et se trouvaient dans la pièce, sans doute à portée de la main de l'assassin.UN INCIDENT BIZARRE
Sur cette enquête, comme la chose arrive souvent, vient se greffer un incident qui, malgré son caractère un peu mystérieux, ne paraît pas avoir de rapport avec le crime.
Avant que celui-ci eut été commis et avant l'arrivée du soldat dans la maison, c'est-à-dire jeudi vers 4 heures de l'après-midi, une femme très âgée — à qui on suppose environ quatre-vingts ans ! — petite, assez forte, s'est présentée dans une épicerie de la rue du Conseil et y a acheté une bouteille de lait.
Elle dit qu'elle faisait cette emplette pour le compte de Mme Curé, et que dorénavant, elle ferait les commissions de celle-ci.
Chose étrange : on a retrouvé la bouteille de lait dans la chambre de la victime, mais on ne parvient pas à identifier la vieille femme que personne n'a vu entrer ni sortir de la maison de la rue Georges Lorand.L'ASSASSIN EST IDENTIFIE
Naturellement, aussitôt qu'un militaire fut suspecté du crime, les devoirs nécessaires furent faits de toute urgence, par la police du Parquet pour connaître les soldats petits et malingres, déserteurs ou en permission de sortie, qui pouvaient matériellement, se trouver à Ixelles jeudi, entre 5 et 7 heures.
D'autre part, on avait relevé dans la pièce sur un verre et sur des débris de bouteille des empreintes digitales nettement analysables et ayant été laissées évidemment, par le meurtrier.
Ces traces ont été comparées aux empreintes des fiches militaires de déserteurs.
Elles ont été identifiées avec celles d'un nommé Lens, soldat déserteur du 1er régiment de ligne en garnison à Liége.
Aussitôt Lens a été dénoncé à l'autorité militaire et M. le vice-président Pouppez de Kettenis, statuant en Chambre du Conseil, a signé une ordonnance désistant la justice civile du dossier en faveur de la justice militaire.
Dès samedi avant-midi, l'auditoriat militaire du Brabant s'est mis en rapport avec celui de la province de Liége pour que les recherches de l'assassin soient coordonnées avec celles des polices judiciaires et gendarmerie du royaume.
Lens a été porté manquant au 1er régiment de ligne le 26 mai. Il devait rentrer à cette date après une permission qu'il avait eue pour se rendre, précisément, à Ixelles. — C.CHEZ LES ANTOINISTES
Au temple antoiniste de l'avenue Guillaume van Haelen, à Forest, la « vieille Curé » — c'est ainsi qu'était familièrement désignée Mme Louise Goffaux — était bien connue. Elle venait là depuis de très longues années. Toutefois, à cause de son grand âge, on ne la voyait plus guère l'hiver.
Dimanche dernier, elle vint à la lecture de dix heures du matin, puis, s'entretient avec le père antoiniste ; elle lui parla du seul souci qui la tourmentait depuis la guerre : le sort de son fils émigré aux Etats-Unis.
Il y a quelques années, la « vieille Curé » avait demandé l'aide des prières du père antoiniste pour retrouver la trace de ce fils dont — à l'époque — elle était sans nouvelle aucune ; bientôt elle vint tout heureuse annoncer que ses recherches et ses démarches avaient abouti ; que son fils lui avait écrit ; qu'il lui envoyait même de l'argent pour assurer sa subsistance.
La vieille femme aurait voulu depuis très longtemps, trouver parmi les adeptes du culte antoiniste quelqu'un qui voulût la prendre chez elle ; mais elle déclara qu'elle ne pourrait jamais payer plus de dix francs par jour et qu'au surplus elle vivait avec bien moins que cela. Son vœu ne fut pas exaucé ; elle ne trouva personne et elle s'en plaignit parfois avec des paroles d'amertume, disant notamment : « Sont-ce donc de vrais antoinistes ? »
Elle avait une sœur à Bruxelles, mais toutes relations avec elle avait été rompues, lorsqu'elle adhéra au culte antoiniste.
Comment faisait-elle — elle presque Impotente et handicapée par son grand âge — pour venir assez souvent de la rue Georges Lorand à l'avenue Van Haelen, assister à la lecture dominicale ?
Des personnes du voisinage la conduisait au tramway à Ixelles et, sitôt débarquée à Forest, elle trouvait toujours l'un ou l'autre antoiniste pour l'accompagner.
On la vit toujours seule ; on ne lui connaissait ni relations ni connaissances ; au temple de l'avenue Van Haelen, on se demande si — désespérant de se faire héberger par un adepte du culte antoiniste — elle n'était pas entrée en contact avec des habitants de son quartier, dans le but de se faire aider et de trouver compagnie.
On croit que le vol n'a pas pu procurer grosse recette à l'assassin. — G.L'IDENTITÉ DE L'ASSASSIN
DE Mme CURÉLe militaire qui est recherché est un nommé François Lentz (et non Lens, comme on l'avait dit précédemment), né à Bourg-Léopold, le 23 mai 1913.
Il est noté à son régiment comme étant de mauvaise conduite.
Son chef de corps a reçu à plusieurs reprises des plaintes à son sujet, émanant de ses parents, notamment à propos du vol, au domicile paternel, d'une sacoche contenant 250 francs.VOISINS
François Lentz était venu en permission, à Ixelles, chez ses parents, qui habitent rue de la Tulipe, voisine de la rue Georges-Lorand, où le crime a été commis.
Sa mère était en relations d'amitié avec Mme veuve Curé ; c'est ce qui explique que celle-ci ait reçu chez elle, sans défiance, le jeune militaire.
Le signalement du meurtrier est publié comme suit : taille 1 m. 57, cheveux blond foncé, visage imberbe assez large, nez retroussé, deux rides horizontales barrent le front.
On croit que le jeune homme avait la faculté de se mettre en civil.FILS D'HONNETES COMMERÇANTS
Les parents de François Lentz — c'est-à-dire sa mère et le second mari de celle-ci — sont d'honnêtes et travailleurs commerçants, établis depuis longtemps dans la rue de la Tulipe et bien connus dans le quartier de la place du Conseil.
Ils ont la meilleure réputation.
François était fils unique. Les voisins, qui déclarent qu'à cause de cela c'était un enfant gâté, sont atterrés et compatissent sincèrement à l'atroce douleur que les parents, surtout la mère, doivent éprouver.
S'ils n'ont que des paroles d'éloges pour eux, ils doivent reconnaître qu'ils les plaignaient déjà à cause de la conduite déplorable de François.
Le jeune homme avait, depuis son adolescence, de mauvaises fréquentations. Il avait toujours des besoins d'argent qu'il dépensait dans des salles de danse et des établissements de plaisir interlopes.
Il volait ses parents. Il faisait, dans le quartier, ou ailleurs, des emprunts ou des dettes en usant de procédés peu nets, frisant l'escroquerie.
Quelqu'un qui nous a parlé de lui le croyait capable de bien des fourberies pour se procurer de l'argent de poche mais n'aurait jamais supposé qu'il fût capable de commettre un crime aussi horrible.
Au contraire, si l'impression était qu'il fallait se méfier de ses mensonges intéressés, son aspect et ses façons d'être éloignaient toute Idée qu'on eût pu craindre de lui des voies de fait.
Nous le répétons, dans le quartier de la rue de la Tulipe, surtout par sympathie pour sa très honnête et laborieuse famille, on voudrait ne pas croire à sa culpabilité dans l'horrible crime. — C.La Dernière Heure, 3 juin 1934 (source : Belgicapress)
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