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La fabrication du fer
LA FABRICATION DU FER
On fabrique le fer en retirant à la fonte la totalité presque absolue de son carbone. La transformation s'effectue dans les fours de puddlage. Ces fours sont divisés en deux parties. Le petit four où l'on verse la fonte en fusion par petite quantité : de 200 à 300 kgr. et le grand four où s'opère la combustion du carbone et le brassage au ringard de la pâte métallique, le puddlage, l'un des plus fours travaux de la sidérurgie. Réchauffée, la fonte passe du petit four dans le grand four. Armé d'une longue barre d'acier : le ringard, le puddleur se tient à la porte du four. Il jette son outil bien sec — mouillé, le ringard pourrait provoquer une explosion — dans la fonte liquide. Il triture cette pâte. Il la soulève, la laisse fuser le long de sa barre d'acier, la reprend, la rejette, arc-bouté des deux mains au ringard, le torse nu, la sueur coulant en fontaine de son corps. Car le four dont la lueur l'illumine, le flambe tout vif. Et les gaz que dégage la combustion du carbone le suffoquent. Après quelques minutes, ses forces l'abandonnent, un autre puddleur le remplace. A mesure que le métal s'épaissit, le travail devient plus pénible, il faut des efforts inouïs pour ébranler la fonte, la plier, la retourner, l'exposer au feu sur toutes ses parties. Et plus le travail s'avance, plus le puddleur doit se rapprocher du four. Ses seuls efforts sont impuissants vers la fin pour brasser le métal qui a presque atteint la consistance de la pierre ; alors, deux, trois, puddleurs s'arc-boutent sur le ringard et tirent de toutes leurs forces, les muscles tendus sur les bras nus, les torses bombés, les visages congestionnés par l'effort et le feu.
Enfin, après trente minutes de puddlage, l'ouvrier plié à la gueule du brasier, lie la masse métallique en un bloc, la loupe ; il la saisit à bout de bras dans les tenailles et la jette sur le chariot. C'est à ce moment que l'hémorragie cérébrale assomme généralement les puddleurs. La loupe est portée au marteau-pilon qui va la cingler. Les cinq mille kilos du marteau s'abattent sur la boule de fer toute rouge; la loupe s'écrase comme la boule de glaise sous le doigt du modeleur ; on la retourne, le pilon remonte, retombe, un bruit sourd et la loupe aplatie sur une autre face, crache en grêle ses scories. Les étincelles, les paillettes volent, si abondantes qu'il faut élever autour du pilon des cloisons protectrices en tôle pour empêcher les ouvriers d'être grièvement brûlés, à vingt mètres de distance. Quant aux cingleurs, ils semblent vêtus de pièces détachées d'une armure : des gantelets et des brassards de fer protègent leurs mains et leurs bras, des masques en treillis de cuivre gardent leur visage.
M. & L. Bonneff, Vie tragique des travailleurs, p.122-24
Les Travailleurs du Fer (1908)
source : gallica
Tags : métallurgie
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