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La ''Mère'' - Anniversaire de la désincarnation du Père (Gazette de Charleroi, 1er juillet 1913)(Belgicapress)
APRES LA « DESINCARNATION »
D’ANTOINE LE GUERISSEUR
LA “MERE„
qui succède à l’apôtre défunt
n’a point réussi de miracleDes fêtes antoinistes viennent d'être célébrées à Jemeppe-sur-Meuse, à l'occasion de l'anniversaire de la mort d'Antoine.
Il y a eu en effet un an mercredi dernier qu'est mort le visionnaire fameux, dont le renom est considérable tant en Belgique qu'à l'étranger : Antoine le Guérisseur.
Cet homme, qui avait l'aspect d'un des anciens prophètes d'Israël, exerçait sur la plupart des gens qui l'approchaient un ascendant extraordinaire.
Il disait posséder la révélation de la vérité. Il passait pour opérer, par le seul pouvoir de sa volonté, des guérisons miraculeuses.
De tous côtés de pauvres gens s'adressaient à lui pour obtenir par son intervention puissante et mystérieuse, la fin ou l'adoucissement de leurs maux. Et le culte antoiniste compta des adeptes un peu partout...
Le 23 juin 1912, Antoine le Guérisseur mourait, ou plutôt, pour employer le vocabulaire des antoinistes, il se désincarnait.
Mais l'antoinisme ne mourut pas avec Antoine, et le temple édifié à Jemeppe continue à être le centre d'un mouvement intense, centre où parviennent chaque jour, sous forme d'un courrier formidable, les plaintes et les vœux de l'humanité malheureuse.
C'est qu'Antoine avait pris une sage précaution pour assurer la pérennité de son œuvre.
Quand il fut sur le point de mourir, il fit savoir à ses disciples que sa femme lui succéderait, qu'elle pourrait s'assimiler à sou fluide éthéré et il la chargea de recueillir et de lui transmettre les désirs des antoinistes.
C'est en vertu de cette désignation que la veuve du guérisseur guérit à son tour, ou, au moins, s'y applique.
Pour célébrer l'anniversaire de la désincarnation d'Antoine, celle qui fut sa femme conviait les antoinistes du monde entier à se rendre, mercredi dernier, à Jemeppe-sur-Meuse : elle annonçait que les malades obtiendraient de grandes guérisons.
Les antoinistes vinrent au nombre de plusieurs milliers. La Belgique, les Pays-Bas, certaines provinces du nord de la France fournirent le gros de cette armée singulière. Paris, qui compte quatre ou cinq groups antoinistes, avait, pour sa part, envoyé environ cent-cinquante pèlerins. L'empressement de tous ces pieux voyageurs était tel que plusieurs centaines d'entre eux, tout à leurs religieuses pensées, remirent, en arrivant à la gare de Jemeppe, leur ticket de retour en même temps que leur billet d'aller – ce qui détermina une belle confusion quand il fallut repartir.
Tous aussi croyants – d'une foi qui leur fait non pas soulever des montagnes, mais passer des frontières, ce qui est déjà bien – les antoinistes ne sont pas tous également fervents.
Les zélés suivent les recommandations du père Antoine à la lettre. C'est ainsi qu'il s'imposent le port d'un costume disgracieux, dont le guérisseur fixa la couleur et la coupe : c'est, en serge noire, un vêtement sans nom, qui réalise une manière de compromis entre la soutane des prêtres maronites et le redingote de certains pasteurs américains ; comme coiffure, un « gibus » qui rappelle, avec moins d'ampleur, l'antique « bolivar », que nous pouvons voir, sur de vieilles gravures, couvrir le chef vénérable de nos arrière grands-pères.
Dans cette foule, il ne se trouva qu'un « esprit fort » ; et il n'avait certes point lu le chapitre de La Bruyère : c'est un joli bambin d'une dizaine d'années ; ses parents l'avaient trainé à Jemeppe pour le faire guérir de je ne suis quelle affection nerveuse ; arrivé devant le temple du guérisseur, le moutard refusa énergiquement d'entrer, et il se mit à pousser des hurlements tels que son antoiniste de père dut renoncer à le soumettre aux opérations.
Les opérations ont cependant moins effrayantes au temple antoiniste que dans les salles de nos hôpitaux.
C'est la Mère qui procède. La Mère, c'est la veuve d'Antoine, lequel n'est désigné par les antoinistes que sous le vocable le Père.
Les fidèles se tassèrent dans le temple.
Dans le silence qui précède les grands événements, ils attendirent, regardant devant eux une tribune étroite et longue, sur le bord de laquelle était peint – blanc sur fond noir – l'arbre de la vie, symbole de l'antoinisme. Devant la tribune principale, quelques mètres plus bas, une autre tribune, plus petite.
Au bout d'une demi-heure d'attente, un grand diable barbu et chevelu, avec les yeux perdus qu'on prête aux nihilistes russes, apparut sur la tribune la moins élevée et reste là, sans mot dire, le regard dans le vide.
– C'est notre frère Deregnaucourt, dit-on.
Le frère Deregnancourt attendit... L'assistance était haletante et recueillie. Seule, la béquille d'un infirme, en tombant sur le plancher, troubla un instant le silence.
Mais soudain on entendit le tintement aigrelet d'une sonnette. Tous les pèlerins se dressent, d'un seul élan. C'est la Mère qui apparaît. Elle est sur la tribune. Toute blanche dans ses vêtements noirs, elle regarde vers le plafond, en se tordant les poignets... Avec un peu de bonne volonté, on peut retrouver dans l'expression de son visage l'air fatal et inspiré des anciennes sibylles... Cinq minutes, elle reste là, le regard fixe, les poings crispés... Puis elle s'en va... C'est fini. Les fidèles se retirent.
C'est là l'opération annoncée. La mère dut la recommencer cinq fois, chaque fois devant cinq à six cents personnes.
On avait aussi promis des guérisons. Mais c'est une autre affaire. J'ai vu sortir aussi claudicants les gens que j'avais vus entrer en boitant, et les rhumatisants ne m'ont pas paru plus alertes après l'opération qu'avant. Ce sera sans doute pour plus tard.
Après les opérations, les antoinistes ont fait un pieux pèlerinage à travers le jardinet où, tout en repiquant ses salades et en échenillant ses choux, le père Antoine sentit naître sa vocation de Christ nouveau...
Les fêtes antoinistes ont recommencé hier. Les fidèles, en cortège, conduits par la mère et le frère Deregnancourt, ont fait le parcours que fit, il y a un an, la dépouille funèbre du guérisseur, de la maison au cimetière.Gazette de Charleroi, 1er juillet 1913 (Belgicapress)
Reprend en partie l'article paru dans Le Matin du 30 juin 1913.
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