• La Révélation est un ''mythe''

        Dans la pensée de ses auteurs, le mythe a pour but de matérialiser et d'habiller de palpable, de visible, de mouvementé et de dramatique des intuitions, des conjectures, des idées, de soi désincarnées et conceptuelles, pour nous les communiquer : dans l'imaginaire, et non pas dans l'abstrait. Il n'enregistre pas des constatations, mais des explications. Par le conte qu'il nous fait, il nous suggère la situation ou la suite de conjonctures qui, en aboutissant à l'état de choses mis en questions, en rend suffisamment raison pour satisfaire notre désir de connaître : ce n'est qu'un "récit vraisemblable", comme écrivait Platon (Timée, 29d). C'est parce que l'auteur du Poème du Supersage [des Mésopotamiens] avait la conviction qu'il existait dans l'homme, outre le corps terrestre et périssable, quelque chose de supérieur et qui jusqu'à un certain point dépasse sa nature, qu'il a forgé son histoire de sang d'un dieu pétri avec de la glaise. Ut littera sonat, c'est une narration qu'il nous fait là ; mais elle n'est, en réalité, que le support d'une explication. Incapables encore d'accéder à la pensée abstraite et scientifique et livrée à la seule force de leur imagination, sans disposer, pour éclairer leurs doutes, d'autres données que concrètes, individualisés et fictives, les auteurs des mythes s'en sont servis pour calculer et construire des situations imaginaires qu'ils ont adaptées aux propres données de leur problèmes, comme on l'a vu aux exemples plus haut cités, et éclairer ainsi d'autant mieux ces incertitudes. L'histoire qu'ils racontent, ils ne prétendent pas le moins du monde l'avait "constatée", de visu, ou par ouï-dire, comme le ferait l'auteur d'un authentique rapport historique : ils pensent seulement que, sans elle, ou quelque chose d'approchant, la question posée demeurerait sans réponse. [...]
        Le récit du "Péché originel" le démontre clair comme le jour : moyennant sa foi et son admiration pour son Dieu, le Yahviste avait réfléchi, et compris le premier ce dont l'histoire était déjà en pleine et ce dont nous voyons depuis, tous les jours autour de nous, des illustrations plus ou moins cruelles, sanglantes et insupportables, c'est à savoir que l'Homme est le seul responsable de ses propres malheurs. Il devrait le savoir, il le sait ; il devrait donc se garder d'errements aussi funestes ; il y retombe sans cesse et il n'arrête pas de se replonger ainsi dans l'infortune et le désespoir, comme si, enté sur sa nature, un archaïque atavisme de faiblesse et de propension à mal faire l'y inclinait toujours et sans qu'il ait jamais pu trouver encore lui-même de remède à cette façon d'impuissance native. Voilà, bien au-delà du mot à mot de cette histoire de Jardin, de Fruit défendu, de Serpent tentateur, de Femme qui succombe et persuade son Homme de l'imiter, voilà la vérité profonde et éternelle que le vieux Yahviste avait découvert et qu'il nous a transmise. Et qui ne serait d'accord avec lui ?

    Jean Bottéro, Le récit du péché originel, p.284-85 & p.291
    Naissance de Dieu, La Bible et l'historien
    Folio / histoire, Paris, 1992


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