• Le fluide vert des Antoinistes, 1977, revue non identifiée (Archives du Temple de Retinne)

    Le fluide vert des Antoinistes, 1977, revue non identifiée (Archives du Temple de Retinne).jpgLe fluide vert des Antoinistes, 1977, revue non identifiée (Archives du Temple de Retinne)

    Le fluide vert des Antoinistes
    un produit belge d’exportation

    Née à Jemeppe-sur-Meuse et bientôt septuagénaire,
    la secte a aujourd’hui de par le monde des dizaines de temples.

        La religion antoiniste, née il y a plus de cinquante ans dans le bassin de Liège, compte aujourd'hui 58 temples aussi bien en Suisse, au Brésil, aux Etats-Unis ou en Angleterre qu'en Belgique où ils sont 29 et en France où on en dénombre 18... Issu de la pensée de Louis Antoine, dit le « père Antoine » bien qu'il ne fut jamais prêtre, le culte antoiniste, non subsidié par l'Etat, a été reconnu par un décret royal de 1922. Tout de noir vêtus, les ministres desservants, habillés de redingotes à boutons ronds et chapeaux haut-de-forme pour les hommes, de longues robes et bonnets à ruche pour les femmes, sont placés sous la férule d'un directeur moral du culte, une sorte de chef suprême qui autorise le mariage de ses assistants. Mais quelle est cette secte qui puise sa sève dans la pensée et les illuminations d'un seul homme ?

    Du surnaturel dans une lampe de mineur

        L'étonnante histoire commence en 1846 quand Louis-Joseph Antoine, que ses adeptes surnommeront plus tard le « guérisseur », naît dans une famille ouvrière de Mons-Crotteux près de Liège. Dernier venu de onze enfants, il descend dans la mine dès l'âge de douze ans comme manœuvre de fond. Mais il étouffe sous terre si bien que le jour où il voit sa lampe de mineur s'éteindre sans raison apparente, il y décèle comme un signe du destin l'invitant à renoncer au charbonnage et à devenir ouvrier métallurgiste. Dans l'intervalle de séjours en Prusse Orientale et en Pologne, il épouse Catherine Collon qui lui donne un fils. La mort de ce dernier, vingt ans plus tard, précipite Antoine dans le spiritisme et les études métapsychiques.

        Revenu en Belgique, après avoir amassé une petite fortune à l'étranger, il construit à Jemeppe des maisons ouvrières dont les loyers lui permettent de ne plus travailler et de se consacrer désormais tout entier à sa vocation spirituelle. Il fréquente alors le café Ghaye à Tilleur, où il prétend entrer en communication avec les esprits par le relais d'un médium. Il édite un catéchisme spirite pour les « Vignerons du Seigneur », une secte qu'il vient de créer alors que sa foi catholique le quitte définitivement. Son optique change encore quand il découvre que le spirituel l'emporte sur la matière. S'octroyant des dons de guérisseur, il soigne désormais gratuitement n'importe quelle maladie. Et comme il le dit lui-même : « Je mets la main sur la tête du malade, je me recueille, je prie en moi-même, puis j'ai l'inspiration qui me permet de dire de quoi il souffre. Si le consultant a la foi en moi, je ne me trompe jamais. Je lui fais alors des passes, je prescris alors soit le contact de papier magnétisé, soit l'usage de certains thés ».

    Des soins collectifs dans un temple-hôpital

        Il n'en fallait pas plus pour émouvoir le clergé et les médecins de Liège. Les activités du guérisseur se soldèrent logiquement par quelques démêlés avec la justice. Antoine comparaît donc une première fois en 1901 devant le tribunal correctionnel de Liège et est condamné pour exercice illégal de la médecine. Pour contrecarrer ses adversaires, il adopte une nouvelle tactique de guérison en supprimant l'imposition des mains et le papier magnétisé. On ne peut plus l'accuser de prescrire des ordonnances. Désormais, il se concentrera à distance grâce aux fluides qui l'entourent et si le malade a la foi, il sera guéri. A en croire Antoine, toute chose contient un fluide (vert de préférence) qui nécessite une pensée. Lorsque l'on fait un mouvement, c'est en réalité notre pensée qui agit sur le fluide. Comme les malades convergent toujours plus nombreux vers sa maison de Jemeppe, il renonce au spiritisme pour créer une religion nouvelle, une sorte de néo-spiritualisme.
        Libre-arbitre, charité morale, non-existence de la matière et du mal, amour fraternel, désintéressement et réincarnation en sont les grands principes. Dans un premier ouvrage intitulé « L'Auréole de la conscience », Antoine affirme que seule la foi peut guérir l'humanité.
        Mais cette fois, c'en est trop pour les catholiques qui prennent peur et veulent un feu rouge pour tous ces fluides verts. Des plaintes et des pressions vont obliger Antoine à comparaître une fois de plus en correctionnelle mais il sera acquitté le 21 juin 1907. Confortablement installé sur cette victoire, le culte se développe tant en Belgique qu'à l'étranger. Bientôt la maison d'Antoine devient trop petite pour y recevoir les milliers de fidèles si bien qu'un premier temple est bâti à Jemeppe-sur-Meuse en 1910 pour permettre au « Père » de ne plus soigner chaque malade individuellement mais bien de traiter en une fois toutes les personnes présentes par de grandes « opérations générales ».

    Comme le Christ, Antoine devait ressusciter

        Il faut bien avouer que ces opérations étaient et sont d'ailleurs toujours réduites à leur plus simple expression. Le père Antoine autrefois, les desservants aujourd'hui, se contentent de lever les yeux au ciel et de joindre les mains pour ensuite tendre les bras vers la foule. Aucune musique, aucun chant, prière ou liturgie n'accompagne la cérémonie.
        Quoi qu'il en soit, les Antoinistes croient en Dieu puisqu'ils vont même jusqu'à certifier que « Père » n'est autre qu'une parcelle incarnée de Dieu. Cela n'empêcha pas pour autant le brave homme de mourir, comme n'importe qui, en 1912. Pourtant ses fidèles, ses « enfants » comme il les appelait, persuadés qu'il ressusciterait, ne crurent pas à sa mort, mais affirmèrent qu'il « rentrait dans le fluide éthéré de l'amour divin ». Et depuis, enterré au cimetière de Jemeppe, il reçoit chaque année la visite de milliers de pèlerins antoinistes. La femme d'Antoine, la « Mère », continua son œuvre et favorisa la création de temples grâce à des fonds provenant de dons généreux d'adeptes convaincus.
        Les temples sont tous peints en vert, couleur de l'espérance qui dégage des fluides bienfaisants. Quant au symbole du culte, il n'est rien moins que « l'Arbre de la science de la vue du mal », emblème fleuri qui indique que le mal existe en toute chose.
        Les autre premiers jours de la semaine, les fidèles qui s'appellent entre eux « frères » et « sœurs », se réunissent pour écouter les écrits et plus précisément les révélations de leur « Père ». Pendant la lecture, une desservante se trouve au-dessus du lecteur, sur une espèce de balcon. Elle y reste immobile, les mains jointes, pour élever sa pensée et conserve cet état statufié pendant de longues minutes après que la lecture soit terminée. En dehors des « opérations » que les non-initiés appelleront plus simplement des consultations médicales gratuites, le culte prévoit encore des recueillements collectifs adressés aux personnes souffrantes. Toutefois, il est faux de croire que les Antoinistes récusent la médecine officielle ou encore que, comme les Témoins de Jéhova, ils refusent toute transfusion sanguine, au risque de faire courir des risques graves à leur famille. Les Antoinistes vont chez le médecin mais complètent le traitement par leurs fameuses opérations.

    Un culte qui vit en concubinage avec d'autres dogmes

        Avec l'Antoinisme on est bien loin des guerres de religion ou de l'esprit d'intolérance puisqu'il respecte toutes les croyances, allant même jusqu'à admettre qu'un Antoiniste soit en même temps catholique ou protestant. Il est, paraît-il, courant que des jeunes gens qui viennent de se marier dans une église, fasse consacrer ensuite leur union au temple.
        Ceci nous conduit tout naturellement à aborder le chapitre des sacrements, tout aussi présents chez les Antoinistes que dans les religions traditionnelles.
        Si les baptêmes et les mariages prennent le nom de « sanctification », les enterrements se font dans la plus grande simplicité, sans discours, musique ou bannière, l'emblème antoiniste précédant le cercueil.
        On peut toutefois se demander si une telle religion, née en 1906, connaît encore quelque succès aujourd'hui. Si les jeunes paraissent déserter certains temples de Wallonie, il semble par contre que ceux de Forest et Schaerbeek maintiennent une population constante où la jeunesse ne se fait pas oublier. Il est malgré tout difficile d'avancer des chiffres représentatifs de la population antoiniste. Selon certaines sources, ils seraient 300.000 à travers le monde pour un clergé de 3.000 personnes. Selon d'autres, ils ne seraient que 150.000.

        Pour devenir adepte de la religion ou plus exactement prendre le nom de « frère » ou de « sœur », aucune cérémonie spéciale de baptême ou d'intronisation n'est requise. Il suffit d'avoir la foi qui vous guidera sur le chemin du temple. Il n'est pas davantage exigé de sacrement pour devenir ministre du culte. Le collège des desservants est composé d'Antoinistes un peu plus convaincus que les autres et qui ont décidé de se consacrer entièrement au culte. Ils désignent parmi eux un seul et unique supérieur hiérarchique : le directeur moral, un Belge, dont le Vatican est on l'a deviné, Jemeppe-sur-Meuse.

        A l'encontre des Témoins de Jéhova et des Mormons, véritables virtuoses du porte-à-porte, les Antoinistes ne font pas de propagande et se terrent si bien qu'il est difficile de les dénicher. Ignorant tout des tabous, ils n'ont pour seule liturgie que la « Révélation des dix principes de Dieu par le Père ».

    Les idées de Bouddha

        Aujourd'hui l'Antoinisme ne se porte pas trop mal. Les héritiers de « Père » et « Mère » continuent à soigner par la foi en prétendant arriver à des guérisons complètes. Certains ont prétendu que l'enseignement du père Antoine était celui du Christ, mais il s'en est lui-même défendu. Se rapprochant davantage du bouddhisme primitif, l'Antoiniste tente en effet de faciliter la vie des gens malheureux en jonglant avec les mots « amour » et « solidarité » comme s'il s'agissait de vulgaires accessoires d'équilibriste.
        Que penser de cette religion qui est l'œuvre d'un homme relativement peu instruit qui savait à peine lire et écrire ? Etait-il un vrai prophète recevant l'inspiration de l'au- delà... ou tout simplement un illuminé ? Quoi qu'il en soit, même si l'on n'est pas convaincu de ce que ces « frères » tout en noir valent un bon médecin en blouse blanche, il faut bien leur concéder au moins un excellent remède de bons principes de morale et de charité contre la maladie mondiale de violence et de corruption.

                                                                      CHANTAL SCHALLER.

    Photo : R. Marton.

    [Revue non identifiée], 1977 (Archives du Temple de Retinne)


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