• Le Père Dor en correctionnelle (La Région de Charleroi, 17 novembre 1916)(warpress.cegesoma.be)

     Le Père Dor en correctionnelle (La Région de Charleroi (17-11-1916), warpress.cegesoma.be)

    Chronique des Tribunaux
    Tribunal correctionnel de Charleroi
    Audience du 16 novembre
    Le Père Dor en Correctionnelle
    LES ALÉAS DE LA DIVINITÉ

        Si l'exactitude est la politesse des Rois, elle est aussi celle des « dieux » car Pierre Dor se trouvait à l'audience d'hier pour 9 heures du matin, heure fixée pour l'ouverture des débats.
        Comme MM. les membres du siège attentaient l'arrivée de Me Morichar, l'un des défenseurs du prévenu, l'audience ne fut ouverte qu'à 9 h. 45.
        Dans l'intervalle de ce temps, le prévenu se montre d'une nervosité inusitée ; il se lève souvent et fait face à l'auditoire qui est très nombreux. Veut-il lui envoyer son bon fluide et l'animer de sentiments, moins hostiles que ceux qui ont été témoignés à son égard lors des audiences précédentes ? That is the question !
        Me Lucien Lebeau joint son client vers 9 h. 30 et lui donne une vigoureuse poignée de mains en lui disant : « Bonjour, maître ».
        — La Cour, clame l'huissier de service, et l'audience est ouverte.
        Pierre Dor, sur l'invitation de M. le président Castagne se lève ; il va être procédé à son

    Interrogatoire

        A la demande de Me Lebeau, le tribunal décide d'entendre le témoin Broset.
        Me Bonnehill. — il est regrettable que Me Lebeau ait fait venir ce témoin sans me prévenir. Si j'avais su cela, j'aurais fait citer le témoin Collard et il y aurait eu confrontation.
        Le Président. — Mais le témoin Broset a été entendu à l'instruction. Le tribunal décide de ne pas entendre ce témoin.     Le Président à Dor. — Vous êtes inculpé d'escroquerie, d'art illégal de guérir et d'attentat à la pudeur. Que pensez-vous des douleurs physiques ?
        Père Dor. — Tout effet à une cause, je ne suis pas guérisseur, je procède d'une façon que je ne puis indiquer.
        Le Président. — Vous prétendez agir comme moraliste ?
        Père Dor. — Absolument.
        Le Président. — Que pensez-vous des médecins ?
        Père Dor. — Ils peuvent guérir l'effet et non la cause.
        Le Président. — Vous les excluez cependant ; vous conseillez à vos adeptes de ne pas y avoir recours.
        Père Dor. — Parce qu'ils deviennent leur médecin eux-mêmes.
        Le Président. — D'après vous, ils soulagent mais ne guérissent pas.
        Père Dor. — Absolument. Il s'agit de découvrir la cause.
        Le Président. — Toutes les maladies, dites-vous, proviennent de nos vices.
        Pire Dor. — Absolument, de nos vues de jeunesse.
        Le Président. — Supposez que dans un moment de colère j'attrape une hernie ; vous me guérissez de ma tolère, mais me guérissez-vous en même temps de ma hernie. (Rires).
        Père Dor. — Evidemment, mais si vous faites un nouvel excès, vous retombez dans le mal. La colère est pire que le vice.
        Le Président. — Quels sont vos titres pour justifier que vous Le Père Dor en correctionnelle (La Région de Charleroi (17-11-1916), warpress.cegesoma.be)êtes dans le vrai et les docteurs dans le faux.
        Père Dor. — J'ai mon amour pour ceux qui souffrent.
        Le Président. — Et vous estimez que cela suffit ?
        Père Dor. — Oui.
        Le Président. — Croyez-vous tue les médecins n'ont pas cet amour de l'humanité ?
        Père Dor. — Le médecin a surtout l'amour de l'or.
        Le Président. — Vous généralisez donc, toutes les maladies peuvent être guéries par vos conseils.
        Père Dor. — C'est vrai, mais quand les personnes ne sont pas à même de se corriger, je les envoie chez les docteurs.
        Le Président. — Vous poussez tout à l'extrême et vous n'avez pas assez de science pour agir de la sorte.
        M. le Président lit un passage du livre du Père Dor, où il dit : « qu'un gosse qui a bu de l'eau sucrée est devenu un colosse. » (Hilarité).
        Père Dor. — Certaines de ces mères ont nourri leurs bébés pendant 4 mois de cette façon.
        Le Président. — Vous prétendez avoir guéri un hernieux et il est établi que celui-ci a dû être opéré dans la suite.
        Père Dor. — Mais je l'ai guéri une fois ; il se peut qu'il ait été atteint d'une seconde hernie. Si j'ai un bandeau sur l'œil, c'est que j'ai mal à l'œil ; je l'enlève dès que je ne souffre plus.
        Le Président. — Croyez-vous qu'on peut guérir le malade sans médicaments ? Cela constitue un grand danger de vous laisser continuer de la sorte.
        Père Dor. — Des médecins m'ont, eux-mêmes, consulté et ont reconnu l'inutilité des médecins.
        La Président. — Dans vos livres où vous prenez le titre de Docteur sans médicaments, vous affirmez que vous guérissez toutes les maladies même celles dont sont atteints les moribonds… surtout quand ces personnes vous consultent à temps (hilarité) ; vous parlez de l'asthme, de gastrite, de pneumonie, etc. Avez-vous exercé l'art de guérir ses maladies qui ne sont pas des maladies morales ?
        Père Dor. — Je prétends que non.
        Le Président. — Il y a des lettres saisies dans lesquelles des personnes soignées parlent de maladies physiques et non morales.
        Père Dor. —Je dis que l'homme n'est rien du tout ; je combats le fanatisme ! ! On doit avoir confiance en moi et en mes instructions.
        Le Président. — Chaque jour, vous receviez quantité de personnes atteinte de différentes maladies ; que leur ordonniez-vous ?
        Père Dor. — De remonter à la cause et d'avoir du courage et de l'énergie. On doit avoir confiance dans le Messie du XXe siècle.
        Le Président. — Vous excluez les médicaments, dites-vous, mais on se rend compte qu'il n'en est pas ainsi quand vous donnez certains conseils.
        Nous allons examiner quelques cas particuliers : le premier, celui de l'épouse Beauvois atteinte d'un cancer.
        Père Dor. — Mme Beauvois est venue me consulter ; elle m'a dit qu'elle avait des douleurs dans le corps et a ajouté que quand elle buvait de l'eau, cela lui faisait du bien.
        Je lui ai répondu : « Si cela vous fait du bien continuez ». (Rires).
        Ce malade devait avoir confiance en moi.
        Le Président. — Et vous croyez que cela suffit.
        Père Dor. — Comme le parfum qui se dégage de la rose ranime, ceux qui suivent mes conseils ne souffrent plus.
        Le Président. — Vous niez donc avoir ordonné des lavements à l'eau salée ? (Rires.)
        Père Dor. — Je le nie.
        Le Président. — Le mari et la fille de la malade ont affirmé le contraire ici à l'audience.
        M. le Président discute alors le cas de Mme Hortense Lecomte qui, elle, est venue à l'audience affirmer que le Père Dor ordonnait des médicaments et un régime végétarien. Le cas de M. J.-B. Richard, ce hernieux de Roux, qui est mort, est aussi symptomatique.

    L'ESCROQUERIE

        Le Président. — Croyez-vous vous-même à votre pouvoir ? (Hilarité).
        Le Père Dor ne répond pas directement à cette question. Je ne puis pas le dire, dit-il enfin.
        Le Président. — Vous avez exercé ce métier de guérisseur en Russie où vous avez eu des démêlés avec la police. Vous êtes revenu, vous avez eu des démêlés avec le Père Antoine. Pourquoi ?
        Père Dor. — Je ne peux pas le dire (rires).
        Le Président. — Question de concurrence sans doute ? Comment considérez-vous le Père Antoine ?
        Père Dor. — Comme un homme de bien, un incompris.
        Le Président. — Etes-vous de bonne foi ?
        Père Dor. — Oui.
        Le Président. — Pourquoi vous intitulez-vous Père Dor ?
        Père Dor. — Parce que je fais naître à la vie.
        Le Président. — Pourquoi dites-vous que vous êtes le messie du XXe siècle ?
        Père Dor. — Je ne puis pas le dire.
        Le Président. — Vous ne leur suggérez pas qu'ils vous appellent le Christ ?
        Père Dor. — Non.
        Le Président. — Certains de vos adeptes sont cependant venus vous appeler de cette façon à l'audience.
        Père Dor. — Çà c'est leur affaire, je serais honteux si mes adeptes m'appelaient le Christ, tout le monde peut être le Christ.
        Le Président. — Dans certain passage de votre livre vous suggérez l'idée que vous êtes le Christ ?
        Père Dor. — Non.
        Le Président. — N'y a-t-il pas là une manœuvre frauduleuse dans le but d'exploiter la crédulité de certaines personnes ?
        Père Dor. — Non.
        Le Président. — Vous vous présentez à vos adeptes dans une tenue sommaire ?
        Père Dor. — Cela n'est pas, Mme Delisée ne m'a jamais vu dans cette tenue ; elle est ici, cette dame. N'est-ce pas Marie ? (Rires prolongés).
        M. le Président, parlant de l'opération individuelle, pose diverses questions au prévenu, qui a tort de lever les mains et de faire toute une mise en scène.
        Père Dor. — J'ai donné hier plus de 2,000 consultations gratuites ; si j'avais dû chaque fois lever les bras je n'aurais pu le faire. (Rires.)
        Je ne faisais cette opération, mais de façon générale, que le dimanche. Ce geste d'étendre les mains signifie écoutez-moi, je vais parler. (Rires.)
        Le Président. — Vous avez un costume spécial, une chevelure spéciale.
        Père Dor. — Le Père « La Nature » se promenait dans les rues vêtu d'une grande robe et ayant une chevelure opulente. (Rires).
        Le Président. — Oui, et le malheureux est mort en prison.
        Père Dor. — C'est qu'il n'était pas sincère (nouveaux rires).
        Le Président donne lecture de plusieurs lettres écrites par des personnes qui demandent au Père son bon fluide pour faciliter le règlement de certaines affaires de famille.
        Père Dor. — Celui qui va à l'église croit qu'il fait bien et il a confiance ; celui qui vient chez moi se trouve dans ce cas.
        M. le Président en arrive au cas des époux Chartier. La façon d'entrer en relations avec le Père Dor qui donna la main à M. Chartier, assurant à ce dernier qu'il l'avait déjà connu dans l'autre monde, permet à Pierre Dor de dire que les Chartier sont des menteurs.
        Le Président. — Vous avez procédé à des passes magnétiques et vous avez conseillé à Mme Chartier de vendre ses propriétés.
        Père Dor. — Comment voulez-vous qu'un simple ouvrier tel que moi connaisse le magnétisme ? Quant aux conseils que j'ai donné à Madame Chartier, c'est dans le but de la tranquilliser car elle avait des ennuis avec ses locataires. Je ne puis en dire trop long car ce sont des confidences.
        Le Président. — Quoi qu'il en soit les Chartier vous ont donné beaucoup d'argent ; ils vous ont acheté du charbon ; des casiers pour placer les livres et Mme Chartier à distribué pour 1500 francs de vos livres.
        Père Dor. — Pardon pour 1200 francs ; je n'ai jamais reçu du charbon de ces personnes. Je paie le charbon moi-même.
        Les époux Chartier étaient très jaloux et se croyaient supérieurs aux autres parce qu'ils distribuaient des numéros. Ils se permettaient d'enseigner la morale et voulaient être plus « moral » que le Directeur de l'Ecole morale.
        Le Président discute le cas de Mme Delisée qui, par les menées du Père Dor et l'ascendant que ce dernier avait sur cette personne, remit une somme de 17.000 francs. Vous la faisiez appeler grand'mère.
        Père Dor. — Oui, par déférence pour son grand âge.
        Si j'avais été un escroc j'aurais nié avoir reçu ces sommes. Mme Delisée ment comme les Chartier.
        Le Président parle de l'attentat à la pudeur commit par le prévenu sur la personne de Mme Delisée.
        Père Dor se tournant vers Mme Delisée demanda à celle-ci de déclarer que cela est faux.
        Mais Madame Delisée qui ne subit plus le fluide du Père répond : « Je maintiens ma déposition ».
        Pire Dor. — Vous comprenez, M. le Président, que recevant 600 personnes par jour si je devais faire à chacune d'elle pareil simulacre, je n'en sortirais pas (explosion de rires).
        M. le Président termine l'interrogatoire du prévenu qui maintient qu'il agit, mu par un désintéressement des plus complet.
        M. le Président donne la parole à M. Mahaux, substitut du Procureur du Roi.
        M. Mahaux. — La longue instruction à laquelle il a été procédé avec tant de soin a provoqué l'ahurissement.
        Elle a preuve qu'hélas la crédulité humaine est sans limite. Quand le charlatan se présente sous la forme d'un simple vendeur de plantes sur nos places publiques ; il n'est pas dangereux, mais quand des téméraires abusent de leur ascendant sur certains esprits faibles pour pratiquer l'art de guérir, cela constitue un grand danger.
        A tous les malades, Dor conseillait invariablement le régime végétarien.
        On se rend compte du danger qu'il y a de prescrire le même régime à tous les malades sans distinction d'âge ni d'affection. L'honorable organe de la loi rappelle la déclaration de la fille Beauvois dont la mère morte aujourd'hui, hurlait de douleur quand elle suivait le traitement ordonné par le Père Dor.
        M. Mahaux relit la déposition de M. Richard qui, atteint de hernie et apprenant que le Père Dor guérissait toutes les maladies, se présenta chez ce dernier qui lui conseilla d'enlever son bandage herniaire et de ne plus voir de docteurs. On sait les suites que devait avoir pour ce malheureux le fait d'avoir été rendre visite au prévenu.
        A n'en pas douter, les pratiques magnétiques employées vis à ris des époux Chartier et de Mme Delisée avaient un but guérisseur.
        Le Père Dor était aussi consulté par les mères de nouveau-nés. Il leur ordonnait de l'eau sucrée et, parfois, même uniquement de l'eau non bouillie jusqu'à l'âge de 6 mois.
        Ceci est criminel.
        Et à ce moment où tous nos savants cherchent à ce que notre jeune génération soit sainement nourrie il est pénible de constater que des gens comme le prévenu qui n'a qu'une science infuse sont la cause que plus d'un enfant est mort à la suite de mauvais soins en buvant de l'eau contenant des microbes.
        Beaucoup de mères n'ont pu porter plainte, car elles étaient la cause de ce mauvais traitement et leur conduite était aussi lâche que coupable.
        M. Mahaux rappelle deux jugements de Cour d'appel qui ont condamné des prévenus dans des cas semblables à celui que le tribunal est appelé à juger ce jour.
        M. Mahaux. — Cela m'amène à parler du magnétisme et de l'hypnotisme.
        Le prévenu affectionna spécialement le mot fluide, la signification de ce dernier prouve le sens même de l'opération individuelle.
        Quelle que soit l'explication qu'on puisse donner du magnétisme, il est hors de doute qu'il était employé dans un but curatif et dès lors constitue l'art illégal de guérir.
        L'honorable organe de la loi donna à ce sujet lecture de la jurisprudence.
        Je pense, dit M. Mahaux, avoir prouvé suffisamment en fait et en droit que la première prévention est établie.
        Analysant celle ayant trait à l'escroquerie, M. Mahaux dit que le livre que Pierre Dor vendait 2.50 coûtaient à son auteur 80 cent. Les brochures vendues 25 cent. coûtaient 10 centimes.
        Les bénéfices provenant de la vente de ces livres et brochures se montent à 12.500 fr. et le montant total des sommes encaissées par le prévenu doit laisser rêveur.
        Dor était restaurateur ; quelque temps auparavant il était mécanicien ; c'était le temps où on l'appelait le « Plaisant » oh !combien ! (Rires.)
        Maintenant on l'appelle le Christ :
        Mensonge, fausse qualité. Cette appellation erronée constitue une manœuvre frauduleuse qui s'extériorise dans le but d'exploiter la crédulité du public.
        Lors de la grande fêle qui est organisée le jour de la Toussaint au temple de Roux, des illuminés implorent le prévenu. N'est-ce pas là des manifestations extérieures déclinées à matérialiser le culte.
        Pierre Dor s'intitule de divers noms, dépassant les qualités des autres hommes.
        L'intérieur du bâtiment ressemble à un véritable temple, à l'intérieur duquel on célèbre un culte divin.
        Le prévenu apparaît sous un aspect effrayant : il est vêtu d'une grande robe noire et coiffé d'une calotte noire, il a une barbe broussailleuse ; c'est de cette façon qu'il prêche, le dimanche, dans la chaire de vérité, devant ses fidèles assemblés.
        Aujourd'hui, il a l'air un peu plus humain ; c'est sans doute, dit M. Mahaux le crépuscule du Dieu ! (Rires.)
        Le Père Dor savait que les époux Chartier et Mme Delisée jouissaient d'une fortune rondelette et c'est pour mieux les exploiter qu'il les avait plongés dans un état d'hypnose. Ces personnes étaient devenues sa chose ; Mme Delisée l'a dit à l'audience : « J'étais comme une loque. »
        Le Père leur disait : « Donnez, donnez sans compter, l'argent engendre un cortège de misères ». Ces manœuvres coupables eussent été poussées plus loin si une intervention ne s'était produite.
        Pierre Dor est presque un illettré ; à peine sait-il lire et écrire.
        Les strophes figurant dans le livre « Le Christ parle à nouveau », qui sont dues à la plume de Pierre Dor lui-même ressemblent plutôt à celles figurant sur certains petits papiers entourant certains petits bonbons et que s'échangent les amoureux le jour des kermesses (rires).
        M. Mahaux lit d'autres passages du même livre qui eux ne sont pas du prévenu.
        Me Lebeau. — Ce sont des citations.
        Mme Bonehill. — Le prévenu n'en indique pas la source.
        M. Mahaux. — Nous sommes tous d'accord. Le prévenu s'est emparé de doctrines qui ne sont pas les siennes.
        A la faveur de cette mise en scène et des observations auxquelles Dor se livre, le tronc s'emplit et au moment de lever ce dernier, il engagea un adepte d'y introduire une somme de 100 francs.
        Il y avait des relations plutôt tièdes entre le Père Antoine et le Père Dor et ce, par esprit de concurrence.
        Le commerce de la Margarine du « Père Dor » à Roux, marchait d'abord très bien, mais celui qui l'exploitait d'abord ayant refusé de céder une partie de son bénéfice au père Dor, celui-ci détourna la plus grande partie de la clientèle.
        Cet homme, dit M. Mahaux, n'est désintéressé qu'en apparence.
        Ses brochures, son livre, n'émanent pas de lui.
        Me Lebeau. — De qui émanent-elles ?
        Me Bonehill. — Je vous le dirai demain.
        M. Mahaux. — M. Hans vous a dit qu'au début il corrigeait, au point de vue grammatical, certains écrits et qu'il remarqua que ces derniers n'étaient pas de la main du prévenu.
        Abordant la prévention d'attentat à la pudeur, M. Mahaux est convaincu que Mme Delisée déposant sous la foi du serment a dit la vérité et il n'est pas étonnant que les fanatiques qui ont déposé comme témoins à décharge, aient accablé Mme Delisée comme étant une passionnée.
        Mme Delisée était la chose du Père et lorsqu'il s'agissait d'attentat à la pudeur, ce n'était plus un conseil qu'il donnait, mais un ordre auquel la malheureuse obéissait.
        Le Père Dor ne s'était pas dégagé de ses soins animaliers.
        Si le tribunal ne retient pas l'attentat à la pudeur avec violences, il retiendra le même attentat avec menaces.
        Les adeptes sont des malheureux qui sont atteints mentalement.
        Ils ont déposé par ordre : ce sont des fascinés, ce que je pourrais appeler le suicide de la volonté : il y a là un état psychologique spécial dont il faut tenir compte.
        Les témoins à charge ont été moins nombreux, car il faut avoir su faire un certain effort pour être venu témoigner à l'audience ; d'autres ont eu peur de s'y faire décerner un certificat d'imbécillité. Que penser d'ailleurs de déclarations de gens qui mettent en pratique cette maxime contenue dans le livra à savoir que si on ne se souvient pas d'avoir manqué en rien, on doit néanmoins s'avouer coupable.
        M. Mahaux termine son fouillé et admirable réquisitoire en disant qu'il y a un puissant intérêt social à faire cesser les agissements de cet imposteur et à protéger les témoins à décharge qui n'ont pas encore vu clair.
        A vous, Messieurs, de les protéger en condamnant sévèrement le prévenu.
       L'audience est levée à 1 heure, elle sera reprise ce jour à 9 heures du matin.
        La sortie de l'audience est on ne peut plus tumultueuse.
        Le nombre de curieux, dont très peu d'adeptes, ne veulent quitter la salle des pas-perdus sans avoir vu Pierre Dor.
        Ce n'est pas dans le but de l'ovationner, car dès son apparition, le Père Dor fut copieusement hué, conspué, on crie : Escroc, ignoble personnage ; allez au parc à pouyes. (1)
        Précipitamment Pierre Dor dévale les escaliers et ne demande qu'une chose, c'est d'être dehors.
        A l'extérieur les cris hostiles redoublent et sous les regards amusés des passants ce dieu gagne la Ville-Basse copieusement enguirlandé par environ 2500 personnes.
        Décidément, Pierre Dor aura dû se faire cette réflexion : « La Roche tarpéenne est bien près du Capitole ».                                             RASAM.

    La Région de Charleroi, 17 novembre 1916

     

    (1)    Parc à pouyes (litt. enclos à poules) désignait, à Charleroi (Boulevard Frans Dewandre) durant la Première Guerre mondiale un lazaret installé par les Allemands et destiné à accueillir les femmes de mœurs légères atteintes de maladies vénériennes. (charleroi-decouverte.be)


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