• Le Père était-il fou ?

        La paraphrénie est un état délirant faisant partie des psychoses chroniques non dissociatives et est une condition nettement distincte de la psychose hallucinatoire chronique et de la paranoïa de par la coexistence d'une intense activité délirante limitée à certains domaines de la vie intellectuelle, et une vie par ailleurs normale dans d'autres domaines. Ainsi, le paraphrène agit et pense comme si le délire n'avait pas envahi tous les domaines de sa vie psychique : il existe une bonne adaptation au réel.
        La maladie débute habituellement autour de 40 ans, parfois brutalement, mais le plus souvent insidieusement. Il n'existe pas de trouble de la personnalité prémorbide caractéristique.
        L'article en anglais précise, sans plus de précision, que les cas les plus fréquents seraient enregistrés en Espagne et en Allemagne.
        La paraphrénie fantastique se démarque par la riche production d'idées étranges, décousues, mobiles, extraordinaires. Des idées mégalomaniaques apparaissent. La thématique est particulièrement floride, riche en idées démesurées de grandeurs, de mondes merveilleux, de science-fiction. Malgré le fait que ce délire est entièrement illogique, le comportement est presque normal. Lorsqu'on pose à ces malades des questions éloignées de ses délires, leurs réponses sont claires et logiques.
    source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Paraphrénie

        Voyons si les différentes étapes de l'avancée de la maladie peut coïncider avec les événements de la vie de Louis Antoine :
    • une première période dite d’incubation et d’inquiétude quand apparaissent méfiance, interprétation, signification personnelle attribuée aux faits et hallucination de l’ouïe (donc vers 40 ans, dans les années 1880, Louis Antoine est inquiet et ne trouve pas de solution à ses questions, alors qu'il a une famille et un travail valorisé) ;
    • une deuxième période, dite de persécution et de systématisation, caractérisée par des hallucinations, illusions auditives, écho de la pensée, stéréotypie du délire et apparition de néologismes (Louis Antoine est condamné pour coups sur la personne de Denis Collon le 10 octobre 1885).
    • une troisième période dite de grandeur, quand justement les idées de grandeur apparaissent soit par déduction logique ou hallucination, soit spontanément. On note alors une atténuation du délire de persécution tandis que la mégalomanie
    s’accroît (Louis Antoine découvre le spiritisme, veut devenir médium, puis prophète).
    • une quatrième période, dite de démence, quand l’activité intellectuelle s’affaiblit notablement, que le malade devient indifférent alors que son discours, incohérent, est semé de néologismes. Cette quatrième période ne constitue pourtant pas la règle et paraît être fortement corrélée avec la vie asilaire de l’époque (Louis Antoine ne connaîtra pas cette période, n'étant pas interné, cependant on peut corréler ces symptômes, notamment le discours incohérent, semé de néologismes, avec l'apparition de la Révélation, qu'on juge parfois de décousue et vague. La glossolalie est un bon exemple en tout cas de ces symptômes).
    source : F.Hulak - Les paraphrenies (psychologie-m-fouchey.psyblogs.net)

        Ainsi Louis Antoine aurait pu souffrir de paraphrénie fantastique. Pour l'abbé Hubert Bourguet, cela ne fait aucun doute : « une maladie d'estomac [...] a pu avoir certains retentissements fâcheux sur la vie du cerveau » (p.5). Cet auteur conclut dans Antoine de Jemeppe et l'Antoinisme :
        « Les pages qu'il a laissées contiennent un charabia extravagant, à la fois si soutenu et si fortement condensé qu'elles ne laissent aucun doute sur le trouble des facultés mentales de leur auteur. Une conviction douce et sereine les anime. On la retrouve dans toute la vie d'Antoine. C'est elle qui l'a isolé du monde des choses sensibles qui se pèsent et se mesurent et qui l'a muré dans un monde imaginaire, un monde de fictions avec lesquelles il aimait converser. Avec un sérieux imperturbable, il traitait les choses tangibles de vaines apparences, et il prenait le monde fictif qu'il se forgeait pour la réalité même : c'est un signe non équivoque de dérangement cérébral. La maladie opiniâtre d'estomac dont il souffrit toute sa vie, avait affaibli l'organisme et atteint lentement mais profondément le cerveau.
        « La folie chez Antoine n'eut jamais de transports redoutables ; jamais non plus, elle ne fut complète et, en tout cas, elle ne l'empêcha pas d'être un habile homme et un madré directeur d'entreprises. Il multipliait les déclarations de désintéressement et, en même temps, il parvenait à accumuler des ressources qui lui permirent de donner une organisation matérielle assez forte à son oeuvre et d'en assurer le maintien et le développement pour un avenir qui ne sera pas long, mais qui est de l'avenir tout de même. — Il prodiguait les conseils les plus recommandables sur la sincérité et en même temps laissait soigneusement croire qu'il possédait une puissance extraordinaire de guérir toutes les maladies alors qu'il n'en était rien ... il laissait écrire qu'il continuait les enseignements du Christ quand il les contredisait et qu'il ne pensait pas établir une religion nouvelle au moment même où il l'organisait. — Enfin, Antoine vantait l'humilité et l'oubli de soi et, un instant après, il félicitait ses admirateurs des louanges qu'ils lui décernaient, il acceptait tous leurs éloges, toutes leurs vénérations et tous leurs encensements. Il attirait l'attention de la foule et ses sympathies, se laissait décerner des honneurs divins. Cela fait bien un peu penser au père du mensonge, au démon de l'orgueil et cela rappelle la parole du blasphème qu'il proféra contre Dieu, le jour de sa révolte : « Je serai semblable au Très-Haut ». » (p.48).
        Signalons qu'Hubert Bourguet ne dit pas s'il a fréquenté des Antoinistes, au contraire de Pierre Debouxhtay, qui est plus circonspect dans sa conclusion sur l'Antoinisme en 1945 :
        « Mais l'exactitude minutieuse à reconstituer la physionomie des personnages contribue parfois à faire de ceux-ci des énigmes. Plus on fouille les replis et les recoins de leur vie, plus leur figure morale s'enveloppe de brumes, d'incertitudes ; bref, plus on sait, moins on connaît ! Qu'y faire ? Ne vaut-il pas mieux tenir compte de la complexité des âmes et conserver le mystère ?» (p.30).

        Mais alors comme le dit Yvonne Castellan (p.105) : « Si tout est supercherie, nous avons vu de fort grands esprits s'y être laissé prendre », dont Arthur Conan Doyle, Victor Hugo et même Léon Hippolyte Rivail, dit Allan Kardec. La question est donc : est-ce que tous les spirites auraient souffert de paraphrénie ? Cela est-il probable ? Je ne crois pas. Sans nier qu'« il ne faut pas oublier en effet que la faculté médianimique va de pair avec un certain état hystérique » (p.97-98), comme le démontre bien Théodore Flournoy, celui-ci rappelle toujours que cela peut très bien être à l'insu du sujet lui-même, qui restera de bonne foi. Le plupart des spirites avaient plutôt des tendances à vouloir croire. Celà est également bien étudié par Jean-Yves Roy dans Le Syndrome Du Berger - Essai Sur Les Dogmatismes Contemporains. Mais de là à conclure, comme le fait Yvonne Castellan que (p.117-118) : « Le métier de spectateur n'est pas non plus sans risque. Les débiles mentaux adhèrent au spiritisme par crédulité puérile et risquent le délire à caractère démonopathique. Les déséquilibrés, souvent intelligents, mais instables de volonté et faibles de jugement, risquent l'exaltation et le délire d'imagination. Les schizoïdes enfin, dissociés de la vie pratique et repliés sur eux-mêmes, trouvent dans l'occulte l'aliment de leur vie solitaire. En somme, le pratique du spiritisme flatte les prédispositions aux troubles mentaux. Et le Dr Marcel Viollet de décrire excellemment la composition psychiatrique du salon spirite : les débiles, accablés par l'existence, qui s'abandonnent au spiritisme comme à la consolation suprême, sans frein, sans discernement, croyant tout, prêts à toutes les obsessions. Les paranoïaques, susceptibles, orgueilleux, odieux dans la vie sociale, sont attirés comme par un spectacle « dans les salons sombres où les Esprits s'évoquent et où l'on garde, avec l'incognito, intacts son orgueil intimé et sa susceptibilité à laquelle les Esprits n'insultent pas. » Les scrupuleux, les tristes, les timides « viennent dans l'obscurité, silencieux, tranquilles seulement si on ne les regarde pas » : la mélancolie les guette. Les névropathiques enfin, eclins à des crises larvées d'hystérie, de somnambulisme spontané ou aisément provocable, volontiers simulateurs, se sentent au milieu des séances un centre possible d'intérêt. Ils peuvent devenir « sujets », auxiliaires du médium ou médiums eux-mêmes. Quantité de femmes s'agitent ainsi, actives importantes, militantes, brouillant toutes les idées. » Yvonne Castellan ne remet guère dans son contexte historique cette citation, qui date d'un livre édité en 1908, on y lit surtout cette propension du médecin, ayant tout compris, à vouloir tout classer, sûr de lui et de ses jugements, condescendant et misogyne. Les médecins souffraient beaucoup aussi à l'époque du 'vouloir croire' que tout était psychologique.
        L'auteure du Spiritisme continue pourtant (p.119) : « Le spiritisme à ses débuts semble avoir payé un très lourd tribut aux asiles d'aliénés. En 1855, à Zurich, sur deux cents aliénés, un quart étaient spirites. A Gand, on en comptait quatre-vingt-quinze sur deux cent cinquante. Ces chiffres correspondent à l'époque frénétique de sa grande propagation. De nos jours, les aliénés spirites viennent bien après les aliénés alcooliques et syphilitiques, en concours avec les délirants mystiques et démonopathiques de caractère religieux. » Cela ne viendrait-il pas aussi de l'intérêt grandissant à l'époque pour les maladies mentales ? Je le pense. A la lire, tous les spirites étaient des malades mentaux. Mais la théorie actuelle de Manfred Lütz, dans "Irre! - Wir behandeln die Falschen: Unser Problem sind die Normalen" (Erreur ! - Nous soignons les mauvais sujets. Notre problème sont les normaux) est qu'il faut tous nous considérer comme des anormaux. Et le problème est la terreur de la normalité.
        En tous cas, cette présentation des faits contredit ce qu'on peut lire dans la nosographie des paraphrénies : « C’est à propos de ce cas exceptionnel, qui aboutit à une construction délirante achevée, autour d’une érotomanie divine, que Freud [Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa (Dementia paranoides (1911)] forge l’hypothèse du délire comme tentative de guérison, quand « le paranoïaque rebâtit l’univers, non pas à la vérité plus splendide, mais du moins tel qu’il puisse de nouveau y vivre », et qu’il « le rebâtit au moyen de son travail délirant. Ce que nous prenons pour une production morbide, la formation du délire, est en réalité une tentative de guérison, une reconstruction. Le succès, après la catastrophe, est plus ou moins grand, il n’est jamais total ; pour parler comme Schreber, l'univers a subi “une profonde modification interne”» ».
    source : F.Hulak - Les paraphrenies (psychologie-m-fouchey.psyblogs.net)
        Rappelons que Régis Dericquebourg signale dans Les Antoinistes (p.39) : « Cette version de la chute qui met en jeu la matière, le regard de l'autre, le symbole phallique, la jouissance féminine et la promesse de savoir inaugurant les oppositions bien-mal, vérité-erreur pourrait être proposée à la réflexion du psychanalyste. » On peut donc penser que le spiritisme à plutôt sauver ces gens de la folie, même si cela n'a pas réussi pour tous.

       Concernant l'origine du spiritisme, on peut y voir un conflit entre, d'une part,  la science souveraine de la fin du XIXe-début XXe siècle, qui devait amener l'homme à tout savoir, à tout comprendre, associé à une déchristianisation fulgurante lors de la Révolution industrielle (pensons au Positivisme d'Auguste Comte, instaurant la science comme nouvelle religion), et d'autre part, cette volonté de croire, donc le besoin pour l'homme d'une pensée qui le rassure. Devant l'échec de la science, incapable de tout expliquer, reste la pseudo-science (et ses prolongements religieux dont l'ufologie et les sciences occultes sont les plus grandes pourvoyeuses), peut-être moins objective et rationnelle, mais plus réconfortante.

        Cela n'enlève donc rien à la portée de la Révélation : un rapport entre la folie et le prophétisme est encore à établir. En tout cas, si tous les spirites ne sont pas devenue fous, il y a certainement des fous qui sont devenus prophètes de leur cause : Abraham, Moïse, Jérémie, Isaïe, Jésus, Mahomet, Edward Irving, Auguste Comte, Phineas Quimby, H.P.Blavastky, Louis Antoine, Mary Baker Eddy, Joseph Smith, Donato Manduzio, Johannes Greber, Ludwik Lejzer Zamenhof (Doktoro Esperanto), Huỳnh Phú Sổ, Joseph Weissenberg, Jean Jaurès, Morris Lichtenstein, Jules Berthelin, Ron Hubbard, Claude Vorilhon...


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