• Les guérisseurs et les médecins (La Meuse, 5 avril 1927)(Belgicapress)

    Les guérisseurs et les médecins (La Meuse, 5 avril 1927)(Belgicapress)LES GUERISSEURS ET LES MEDECINS

     Les premiers en sont réduits à consulter les seconds

        « Chacun son métier et les vaches seront bien gardées ». Nicolas Wagner, cafetier à Esch-sur-Alzette, n'avait qu'à continuer à débiter des petites gouttes au lieu de débiter des sornettes, sous couleur de guérir les malades. Maintenant, il ne guérira plus les autres, mais on espère, en le mettant en prison, qu'il se guérira lui-même de son fâcheux travers.
        Aussi, Wagner n'était pas trop intéressé, car, prescrire des bains d'eau-de-vie quand on est cafetier – cafetier luxembourgeois, s'entend – donne à penser aux moins clairvoyants et aux plus débonnaires, qu'on pense à soigner son commerce au moins autant que les malades.
        – Versez-moi donc une petite goutte, père Wagner, pour me remonter un peu…
        – Prenez-en donc un tonneau. Un bon bain de « péket » avant de vous coucher, et vous serez comme un neuf.
        Et, en effet, le client, qui n'était d'abord que plein d'espoir, après pareille trempette, le devenait bientôt comme un œuf : Wagner ne mentait pas !
        Il n'empêche que les amateurs de régénération par l'alcool ne faisaient pas défaut. Wagner n'en inscrivit pas moins de quatre cent cinquante sur son carnet.
        Mais ce succès n'a pas empêché de mettre en doute l'infaillibilité de la méthode employée. Ceux qui étaient acharnés à la perte du cafetier rebouteux, se sont empressés de tirer du fait qu'ils n'usaient pas de son remède, tout au moins de la même façon que ses malades, des conclusions redoutables.
        Wagner, qui n'est pas exempt de douleurs, s'est mis dans de vilains draps et à aggravé singulièrement son cas, en consultant, les rebouteux des hommes qui n'étaient que médecins.
        Pourtant, nous tenons pour nous, en toute sincérité, que c'est là, tenter de demander par un argument peu probant la duplicité du coupable.
        Wagner, comme tous ses parents, procédait par suggestion à l'égard de ses clients. Il est possible que la suggestion puisse avoir des effets salutaires chez les autres. Il est facile de dire aux gens qui viennent geindre près de vous en les regardant dans le blanc des yeux : Vous n'avez rien ! Je vous dis que vous n'avez rien ! Récitez tous les soirs en vous couchent un petit couplet d'une chanson qui commence par : Ça va mieux, ça va mieux, ça va mieux, et qui se termine par : Je suis guéri ! Je suis guéri ! Je suis guéri !
        Tout ça c'est bien pour les autres, mais aller donc vous payer, vous munir de pareilles chansons.
        Fallait-il donc que Wagner s'en aille trouver un autre guérisseur pour essayer de se laisser suggestionner. Les rebouteux doivent être un peu comme les Augures de l'antique Rome : ils ne peuvent se regarder sans rire.
        Bien triste est la situation d'un rebouteux atteint d'une maladie qu'il craint incurable et qui se dit : dire que je parviens à réconforter les autres, à les suggestionner tant et si bien que je crois, Dieu me pardonne, qu'ils en guérissent parfois et qu'il faille que je perde jusqu'à l'espoir !
        Il faudrait pour les guérisseurs et même pour les autres, non de simples médecins, mais des médecins rebouteux qui allieraient le talent de la suggestion à la science pure et simple.
        Ne riez pas et écoutez plutôt cette petite histoire : un jeune médecin vivait pauvrement parce que les malades brillaient par leur absence dans son cabinet de consultation. Un jour, une heureuse inspiration lui vint, il déménagea et fit répandre le bruit qu'il était guérisseur et faisait des cures merveilleuses.
        Aussitôt la clientèle la plus nombreuse et même la plus huppée de la ville de venir se pendre à sa sonnette, tant et si bien que les vrais médecins s'en émurent et portèrent plainte.
        Ce n'est pas une raison parce que je suis médecin, dit alors notre homme, sans la moindre malice, au juge d'instruction qui l'interrogeait, pour que je ne sois pas aussi guérisseur.                              ERBE.

    La Meuse, 5 avril 1927 (source : Belgicapress)


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