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Les plagiats du Père Dor (La Belgique, 24 novembre 1916)
LES PLAGIATS DU PÈRE DOR
On a été assez étonné d'entendre cette accusation dans la bouche de l'honorable magistrat occupant le fauteuil du ministère public dans le procès du Père Dor, que l'accusé se serait rendu coupable de plagiat pour la confection de son livre incriminé „Christ parle à nouveau”. Le Père aurait promené des ciseaux dans les œuvres d'Allan Kardec et autres théosophes de cet acabit.
Comment peut-on encore parler de plagiat en ce siècle où tout a été dit sur toutes choses ! De tout temps, les écrivains et non de moindres, n'ont-ils pas fait des „emprunts” à leurs devanciers ! Virgile, qui savait si bien se plaindre lorsqu'on le volait – „sic vos non volis” – se gênait assez peu lui-même d'emprunter aux autres. Aecius et même le grand Lucrèce furent mis par lui à contribution. Virgile ne prenait-il pas de même des vers presque entiers dans le poème de Lucrèce ! Le Père Dor est vraiment en bonne compagnie : Hérodote, Sophocle, Ménandre, Euripide, Diodore de Sicile, Tite-Live et Salluste n'ont pas échappé au reproche de plagiat.
On connait assez le cas de Molière, convaincu d'avoir reproduit presque textuellement une scène du „Pédant joué”, de Cyrano de Bergerac. Racine lui-même n'a pas dédaigné d'imiter. Un grand nombre de vers d'„Athalie” et de „Phèdre” ont eu des précurseurs, Shakespeare, lui, fut un terrible pillard. Un de ses contemporains l'appelle une „corneille parée des plumes d'autrui”. Sur 6,043 vers, le savant Malone découvrit que 1,771 avaient été écrits par des auteurs antérieurs ; 2,973 avaient été „habillés” par le grand poète, et le reste, soit 1,899 vers, appartenait à Shakespeare. C'est peu.
Voltaire, le Boiardo, l'Arioste, Métastase, La Fontaine, André Chénier, Musset, d'Annonzio et combien d'autres, ont dû relever cette accusation.
La Fontaine, lui, s'en glorifiait, on le sait ; il avouait emprunter aux autres leurs idées, leurs tours et leurs lois, et disait dans son épitre à l'évêque d'Avranches qu'un endroit plein d'excellence, rencontré chez les maîtres, pouvait entrer sans violence dans ses vers :Je l'y transporte et veux qu'il n'ait rien d'affecté,
Tâchant de rendre mien cet air d'antiquité.Ajoutons qui peut être dangereux d'emprunter ou de dérober lorsqu'on n'est pas de taille à encadrer convenablement à habiller l'emprunt. C'est peut-être ce qu'a voulu dire à Charleroi l'honorable organe de la loi.
La Belgique, 24 novembre 1916
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