• Les sectes de Paris (Construire, 17 janvier 1973)(e-newspaperarchives.ch)

    Les sectes de Paris (Construire, 17 janvier 1973)(e-newspaperarchives.ch)

    Traité de petite histoire
    Les sectes étranges de Paris

        La capitale française, ville cosmopolite par excellence, devait tout naturellement être un terrain propice à l'éclosion de sectes et de doctrines de tout genre, en marge ou sans rapport avec les religions officielles existantes qui sont nombreuses à Paris : catholicisme romain et oriental dépendant du Vatican, orthodoxie, christianisme oriental proprement dit, judaïsme et les différents rites aschkenaz et sepharad, islam.
        Nous ne traiterons pas ici des Eglises, sectes ou mouvements religieux plus ou moins connus, bien qu'attachants par leur doctrine et la beauté de leur liturgie, tels les Maronites de la rue d'Ulm, les Melkites de la rue Saint-Julien-le-Pauvre, les Arméniens catholiques de la rue Thouin, les Arméniens orthodoxes de la rue Jean-Goujon, les Syriens de la rue des Carmes, etc., ou des sectes issues du protestantisme comme les Adventistes, les Pentecôtistes ou les Mormons. Nous nous bornerons à décrire quelques sectes peu connues issues du christianisme, ou que l'on peut qualifier d'occultistes.

    La vision cosmique
       
    Proche du spiritisme et surtout de la théosophie est la philosophie cosmique qui prétend avoir maintenu à travers les siècles « la Tradition primitive de l'humanité », la source pure d'où toutes les religions sont issues. Ce mouvement ésotérique qui conférait des grades initiatiques fut fondé par un Tunisien, Aia Aziz, auteur de plusieurs écrits et directeur de la « Revue cosmique », qui initia deux Français, MM. Thémanlys, père et fils. Ce dernier – que j'ai rencontré à Jérusalem où il vit – a également publié des travaux sur la mystique juive. Un autre personnage joua également un rôle important dans ce mouvement : Max Théon. Voici quelques échantillons de sa pensée : « Le Cosmos de l'Etre est en transformation continuelle ; en étant une partie, vous avez le droit de changer et ceci sans regret, joyeusement, volontiers ; toutes les choses qui nous sont nuisibles ne sont que relatives et transitoires. Par conséquent, logiquement, il n'y a de place que pour l'espoir et le courage » ; « La philosophie de la joie sera naturellement reçue en mesure de l'évolution patho-intellectuelle de ceux à qui elle est manifestée » ; « Les Fils de la Rectitude brilleront comme les planètes dans le royaume qui est le leur par droit d'origine, mais ceux qui amènent plusieurs au juste balancement seront comme des centres solaires à tout jamais... » (allusion à Daniel ll, 12). « L'humanité est pour moi le Cosmos. »
        La philosophie cosmique a pratiquement disparu. Elle recrutait surtout des intellectuels et des pseudo-intellectuels.

    Le spiritisme est-il une religion ?
        Dans le XIVe arrondissement, à la rue Copernic, à proximité de la place Victor-Hugo, donc dans les « beaux quartiers », s'élève un bâtiment élégant : la Maison des spirites, qui abrite une salle de conférence, une importante bibliothèque et la rédaction de « La revue spirite ».
        Cet édifice a été élevé à la gloire d'Allan Kardec, le père du spiritisme moderne, dont les restes reposent au cimetière du Père-Lachaise. Auteur de plusieurs ouvrages qui sont devenus des livres de chevet pour les spirites et dont le contenu, il faut l'avouer, offre une synthèse séduisante et ouvre des perspectives consolantes à beaucoup d'êtres, A. Kardec, d'un tempérament mystique, comme le sont beaucoup de Bretons, a créé, sans le vouloir peut-être, une nouvelle religion ou une supra-religion, fondée sur des expériences métaphysiques plus ou moins vérifiables scientifiquement, qu'on aurait cependant tort d'assimiler aux tables tournantes, qui sont des amusettes.
        Le spiritisme séduit notamment les réincarnationistes.

    Christianisme et spiritisme
       
    Il importe de présenter un curieux mouvement qui, partant de Belgique, se répandit dans les pays de langue française : l'église antoiniste. Son fondateur, un certain Antoine, naquit près de Liège en 1846. D'origine très modeste, il travailla comme ouvrier en Allemagne, en Pologne et en Russie ; il reviendra dans son pays natal, s'y mariera. La lecture d'un livre devait orienter sa vie : « Le Livre des Esprits », d'Allan Kardec. Malade, souffrant de l'estomac, Antoine guérit grâce à cette lecture ; il constata peu après qu'il possédait un certain pouvoir magnétique qui lui permit de guérir des malades. Il groupa quelques disciples et transcrivit les révélations qu'il avait reçues sous le titre : « Les révélations de l'auréole de la conscience ». La religion du Père Antoine était créée, et lorsqu'il mourut, en 1912, les « vignerons du Seigneur », appellation sous laquelle les Antoinistes se désignent, étaient plus de 150 000. Leur centre, à Paris, est au numéro 34 de la rue Vergniaud (XIIIe arrondissement) ; une autre chapelle antoiniste est située à la rue du Pré-Saint-Gervais. Le culte antoiniste consiste à rappeler l'enseignement du père Antoine, mélange de spiritisme, de théosophie, d'occultisme et de christianisme, résumé dans les Dix Principes de Dieu. Selon les principes antoinistes, Dieu n'existe qu'en l'homme. Le père Antoine est une sorte d'incarnation de Dieu sur la terre. On aperçoit dans le temple antoiniste, accroché à la très haute chaire, un portrait du fondateur, le Père, un vieillard barbu dont la main droite est en train d'imposer ou, si l'on préfère, de pratiquer l'opération. A gauche, sa femme, la Mère ; à droite, un arbre avec cette inscription : « L'arbre de la science de la vue du mal ». Après le culte, où l'on ne parle presque pas de Jésus-Christ, où il n'est pas question de péché, de la grâce et de la rédemption, on guérit les malades dans la sacristie, au moyen du fluide universel du Père. Notons que l'intérieur du temple est peint en vert ; même les cercueils sont tendus de vert.

    La religion de l'humanité
        Le flâneur curieux qui apprécie l'attachante place des Vosges, découvrira, non loin de ce lieu enchanteur, la rue Payenne. C'est au numéro 10 de cette rue que mourut, le 5 avril 1846, l'an 11 de l'ère positive, « la tendre et immaculée inspiratrice d'Auguste Comte », Clotilde de Vaux. Cette maison est devenue (grâce aux dons des positivistes du Brésil, le seul pays où la doctrine compte encore un certain nombre d'adhérents) le temple de la religion de l'humanité, cette religion que fonda le philosophe Auguste Comte. Dans son « Cours de philosophie positive », A. Comte définit les trois états théoriques par lesquels l'humanité aurait passé : théologique, métaphysique et positif, ce dernier état, synthèse du rationalisme et du mysticisme, étant celui qu'il a inauguré. Or, paradoxalement, lui qui voulait en fait détrôner le christianisme et les religions en général a abouti à la création d'une nouvelle foi, avec sa liturgie étrange dans laquelle furent intercalées des citations en latin et en italien, nouvelle foi ou trône une nouvelle Vierge, Clotilde de Vaux, que le philosophe aimera comme fut aimée Béatrice Portinari par Dante.
        Le temple de la rue Payenne n'était fréquenté, au temps de mes études, avant la guerre, que par quelques personnes.
        Le buste d'Auguste Comte se dressait sur l'autel, cependant que, à la paroi, les portraits de ses « trois anges » (sa mère, Clotilde, sa femme de ménage) le surplombaient. Il y a quelques années, un drapeau vert signalait le lieu du temple, et l'on pouvait lire cette inscription qui résume toute la morale comtienne : « Vivre pour autrui. L'amour pour principe et l'ordre pour base ; le progrès pour but ». L'intérieur de la chapelle comportait, outre le buste et les portraits sus-mentionnés, de nombreux noms, ceux des grands hommes qui symbolisent les trois états ou étapes du comtisme, de Moïse à Bichat, en passant par Aristote, César, Dante.
        Des beaux principes, de la liturgie et de la doctrine d'Auguste Comte, il ne reste que quelques souvenirs, comme ces fleurs dites « immortelles » qui sont figées dans le passé.
        Il en va de même des Saint-Simoniens dont l'église se trouvait à la rue de Ménilmontant, secte qui fut fondée par le père Enfantin, religion sans culte, qui intéressa Augustin Thierry et Comte, s'inspirant de Fourrier, l'initiateur de ces « phalanstères » qui devaient préfigurer la société de l'avenir.

    Des faux christs aux bardes druidiques
       
    Les faux prophètes, les faux messies sont légion depuis les débuts du christianisme. Signalons, parmi les plus récents, Georges-Ernest Roux, employé des PTT d'origine catholique mais grand admirateur de Platon. Le jour de Noël 1950, Roux se découvre comme le nouveau Christ revenu sur la terre et fonde une nouvelle religion, dont les premiers disciples seront ses filles et son gendre. Ce nouveau Christ dit de lui-même : « Je suis la vie, l'Eternel Créateur, Celui qui anime tout. Je suis partout, rien n'est hors de Moi. Je reviens à nouveau sous la forme de l'homme, afin de donner à l'humanité une dernière possibilité d'accéder à la Vie ». Roux guérit les malades et vitupère les médecins. Le culte comprend de la musique et des chants et une prédication fondée sur la doctrine du Christ-Roux ; lorsque les fidèles prient, ils ferment les yeux et tendent les bras. Leur régime alimentaire est très strict : les tomates, les choux, les épinards, les pommes de terre, la viande et le jaune d'œuf en sont exclus.
        Moins connu que le Christ de Montfavet est le messie Vintras, né en 1807, en Seine-et-Oise, qui pratiqua divers métiers avant que l'Archange saint Michel lui apparaisse et lui annonce que le prophète Elie allait descendre en son âme pour préparer la venue du Saint-Esprit. Vintras se mit à prêcher et les disciples vinrent à lui ; son mouvement se répandit même hors de France : le mystique polonais Towianski y adhéra. Quelques néo-Vintrasiens se réunissent encore à Paris, en associant le souvenir de Huysmans, décédé en 1875, qui possédait l'une des hosties consacrées de Vintras.
        Il y a lieu de mentionner l'Ordre Eudiaque, celui de la sérénité, doctrine sans dogme fondée sur la croyance en Dieu qui se propose de rénover l'initiation à la science secrète. Le premier grade conféré par l'Ordre à l'initié est celui de novice, puis viennent ceux d'adepte et de dianoïste (de dianoïa, « entendement »), etc.
        La religion druidique a encore ses fidèles, et leur revue « Ogam » cherche à maintenir un lien avec les partisans d'un retour au druidisme, c'est-à-dire à la science divine et à la sagesse, telles que les transmettent les bardes ou gardiens des paroles. Mentionnons pour terminer, l'« Ordre ésotérique du lys et de l'aigle », secte d'adorateurs du nombril ; la société secrète du « Temple d'Al », qui pratique la nécromancie cérémonielle, et le groupement occultiste « Le Cosmopolite », fondé par un libraire de la rue Gay-Lussac, Claude d'Ygé, que j'avais rencontré dans son arrière-boutique où trônait un énigmatique Bouddha.

                                                                          A. Chédel

    Construire, 17 janvier 1973 (source : e-newspaperarchives.ch)


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