-
Marcel Moreau, Monstre - J'étais prêt pour le cancer
Plusieurs fois, j'appelai doucement la mort sans ambages. Je me souviens, j'étais assis, un coude sur la table, devant un verre et mes manuscrits. J'écoutais, haletant, d'insignifiantes rumeurs montant en moi, de quelque organe en difficulté. Rien ne m'eût alors semblé plus accordé à ce que je venais décrire que d'être parcouru tout entier par un mal inexorable. J'étais prêt pour le cancer, l'infarctus, l'hémorragie cérébrale. Tout cela pouvait me prendre et m'emmener, moi et mes ultimes secrets, vers le pays d'où nul ne revient. La dernière page s'ouvrait : tombe, sépulture de mots, et c'est très bien ainsi, la métaphore en moins. J'étais même impatient : "Mais qu'attendez-vous donc ?" lançai-je au corps éberlué, ce lourd dadais plié sur la chaise, enténébré de virus. Je ne puis traduire une telle émotion. Je jure qu'elle n'est pas triste, pas ce que l'on pourrait croire. Quand j'aime la mort, je l'aime avec joie, et j'étonnerais plus d'un témoin par la beauté de mon sourire, par la qualité de la lumière, dans mon regard. Nul ne devrait regretter de me voir disparaître dans ces conditions-là, qui sont celles de l'enchantement poétiques. Elles consacrent une victoire plus qu'elles ne consomment une défaite. Bref, je vais bien quand je souhaite aller mal. C'est un moment de pur nostalgie, ou de griefs. Le corps a subi sans broncher, l'esprit a donné sans compter. Que demander à la vie qui soit encore plus fort, plus révélant ? Je suis né de peu et je vais au rien, la joie est dans le Tout, cette distance de l'un à l'autre, saturé de sensations.
Marcel Moreau, Montre (1986), p.193-94
Luneau Ascot Editeurs, Paris
Tags : matière, épreuve
-
Commentaires