• Maurice Maeterlinck - Le trésor des humbles (1902)

         Contemporain des grandes pièces symbolistes, Le Trésor des humbles fut, dès sa parution en 1896, un grand succès de librairie. Maeterlinck explore dans ce recueil d'essais quelques-uns des thèmes qui inspirent sa dramaturgie: le silence et l'indicible, le dialogue des âmes, le tragique quotidien... Il consacre également son attention aux figures spirituelles qui l'ont marqué profondément, comme Novalis ou Ruysbroeck l'Admirable. S'il aide à mieux comprendre la pensée de Maeterlinck et le courant symboliste, Le trésor des humbles, parce qu'il interroge l'inépuisable question de l'être, peut se révéler riche encore d'un secret précieux.

        Ce recueil reprend les essais : le trésor des humbles, le silence, le réveil de l'âme, les avertis, la morale mystique, sur les femmes, Ruysbroeck l'admirable, Emerson, Novalis, le tragique quotidien, l'étoile, la bonté invisible, la vie profonde et la beauté intérieure.

        Extrait :
        N'est-ce pas dans l'amour que se trouvent les plus purs éléments de beauté que nous puissions offrir à l'âme ? Il existe des êtres qui s'aiment ainsi dans la beauté. Aimer ainsi, c'est perdre peu à peu le sens de la laideur ; c'est devenir aveugle à toutes les petites choses et ne plus entrevoir que la fraîcheur et la virginité des âmes les plus humbles. Aimer ainsi, c'est ne plus même avoir besoin de pardonner. Aimer ainsi, c'est ne plus rien pouvoir cacher parce qu'il n'y a plus rien que l'âme toujours présente ne transforme en beauté. Aimer ainsi c'est ne plus voir le mal que pour purifier l'indulgence et pour apprendre à ne plus confondre le pécheur avec son péché. Aimer ainsi, c'est élever en soi tous ceux, qui nous entourent sur des hauteurs où ils ne peuvent plus faillir et d'où une action basse doit tomber de si haut qu'en rencontrant la terre elle livre malgré elle son âme de diamant. Aimer ainsi, c'est transformer sans qu'on le sache, en mouvements illimités, les intentions les plus petites qui veillent autour de nous. Aimer ainsi, c'est appeler tout ce qu'il y de beau sur la terre, dans le ciel et dans l'âme au festin de l'amour. Aimer ainsi c'est exister devant un être tel qu'on existe devant Dieu. Aimer ainsi c'est évoquer au moindre geste la présence de son âme et de tous ses trésors. Il ne faut plus la mort, des malheurs ou des larmes pour que l'âme apparaisse ; il suffit d'un sourire. Aimer ainsi, c'est entrevoir la vérité dans le bonheur aussi profondément que quelques héros l'entrevirent aux clartés des plus grandes douleurs. Aimer ainsi, c'est ne plus distinguer la beauté qui se change en amour de l'amour qui se change en beauté. Aimer ainsi, c'est ne plus pouvoir dire où finit le rayon d'une étoile et où commence le baiser d'une pensée commune. Aimer ainsi, c'est arriver si près de Dieu que les anges vous possèdent. Aimer ainsi, c'est embellir ensemble la même âme qui devient peu à peu l'ange unique dont parle Swedenborg. Aimer ainsi, c'est découvrir chaque jour une beauté nouvelle en cet ange mystérieux, et c'est marcher ensemble dans une bonté de plus en plus vivante, et de plus en plus haute. — Car il y a aussi une bonté morte qui n'est faite que de passé ; mais l'amour véritable rend inutile le passé et crée à son approche un inépuisable avenir de bonté sans malheurs et sans larmes. Aimer ainsi, c'est délivrer son âme et devenir aussi beau que son âme délivrée. « Si dans l'émotion que doit te causer ce spectacle, dit à propos de choses analogues le grand Plotin qui de toutes les intelligences que je connais est celle qui s'approcha le plus près de la divinité, si dans l'émotion que doit te causer ce spectacle tu ne proclames pas qu'il est beau, et si, plongeant ton regard en toi-même, tu n'éprouves pas alors le charme de la beauté, c'est en vain que dans une pareille disposition tu chercherais la beauté intelligible ; car tu ne la chercherais qu'avec ce qui est impur et laid. Voilà pourquoi, les discours que nous tenons ici ne s'adressent pas à tous les hommes. Mais si tu as reconnu en toi la beauté, élève-toi à la réminiscence de la beauté intelligible... »

    Maurice Maeterlinck, Le trésor des humbles (1902)
    source : archive.org


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